L’État a versé 204,7 millions d’euros à la presse

Un soutien massif mais peu médiatisé

En 2023, le montant total des aides directes attribuées à la presse a atteint 204,7 millions d’euros. Pourtant, aucune grande annonce n’a été faite, ni de conférence officielle. Cette discrétion interpelle, d’autant plus que la hausse est spectaculaire par rapport à l’année précédente.

Sur ce montant, 133 millions ont été alloués au transport et à la diffusion des journaux. 22,7 millions sont allés à des titres économiquement fragiles. À cela s’ajoutent 19,1 millions pour l’investissement et la modernisation, ainsi qu’une aide exceptionnelle « papier » de 30 millions, justifiée par la hausse du coût des matières premières.

Une aide à l’exemplaire qui change la donne

La mise en place d’une nouvelle aide à l’exemplaire a représenté un tournant. Ce dispositif, à hauteur de 73,3 millions d’euros, vise à soutenir le portage et l’envoi postal des titres. Si cela semble favoriser la diffusion, certains s’interrogent : s’agit-il vraiment d’une aide aux lecteurs ou plutôt d’un soutien aux grands distributeurs ?

Grâce à ce mécanisme, de nouveaux titres ont été intégrés au système d’aides directes. Ce sont près de 42 nouveaux journaux qui en ont bénéficié, n’ayant jusque-là jamais touché de subventions publiques.

Le pluralisme, une ambition toujours fragile

Officiellement, l’objectif affiché reste le même : soutenir la diversité de l’information. Les 22,7 millions d’euros d’aides au pluralisme ont été répartis entre 374 publications, allant de titres nationaux à de petits journaux locaux.

Des titres fragiles parmi les bénéficiaires

Des journaux comme La Croix, L’Humanité ou Libération en bénéficient régulièrement. Mais ces aides concernent aussi des médias plus confidentiels comme Politis, Pèlerin ou Causette. Même la presse en ligne est incluse, avec des sites comme Blast-info, Africa Intelligence ou Huffington Post.

Les oubliés de la répartition

Malgré ces efforts, les médias locaux et associatifs restent sous-dotés. Le Fonds de soutien aux médias de proximité n’a distribué que 1,9 million d’euros à 131 structures. Un contraste marquant avec les montants attribués aux grands groupes.

Une concentration des aides préoccupante

Derrière les chiffres, la réalité est plus contrastée. Une part importante des fonds va à de puissants groupes privés. LVMH et la famille Arnault ont ainsi reçu plus de 17 millions d’euros, dont 5,5 millions pour la presse magazine. Dassault, Bayard, Le Monde, Centre France ou Ouest-France figurent aussi parmi les plus aidés.

Le groupe EBRA a perçu 6,4 millions, SIPA Ouest-France 6,8 millions, et Daniel Kretinsky (via Czech Media Invest) près de 8 millions. Ces chiffres montrent que l’argent public est souvent capté par les poids lourds du secteur.

Modernisation : un enjeu technique et économique

Les aides à l’innovation et à la modernisation ont représenté 19,1 millions d’euros. Objectif : soutenir des projets autour de la transition numérique ou écologique. La revue L’Iceberg, axée sur l’environnement, a par exemple reçu une bourse de 50 000 €.

Le financement concerne aussi les kiosques et maisons de la presse. En 2023, plus de 1 000 marchands de journaux ont reçu une aide pour améliorer leur matériel et l’aménagement de leur espace de vente.

L’aide exceptionnelle papier face à la crise

Pour compenser les effets de la guerre en Ukraine, une aide spéciale de 30 millions d’euros a été débloquée. Cette mesure visait à absorber une partie des hausses de coûts du papier et de l’impression.

504 titres ont été aidés, dont 300 qui n’avaient jamais perçu de subventions auparavant. Cela représente près de 80 % des volumes imprimés en France.

Les aides indirectes : un appui fiscal discret

Enfin, les aides fiscales complètent le dispositif. La presse bénéficie d’un taux de TVA réduit à 2,1 %, évalué à 60 millions d’euros par le ministère des finances. D’autres mesures, comme des exonérations pour les colporteurs ou distributeurs, s’ajoutent pour un total estimé à 24 millions.

Avec plus de 800 titres soutenus en 2023, jamais autant de publications n’avaient été concernées. Mais cette dépendance aux aides interroge. Le secteur peut-il se réinventer sans perfusion ?