La distinction entre nature naturante et nature naturée
Dans L’Éthique, Spinoza propose une conception moniste de la réalité où tout ce qui existe appartient à une même substance infinie. Pour mieux comprendre la relation entre l’essence et les manifestations du monde, il distingue la nature naturante (natura naturans) et la nature naturée (natura naturata). Cette distinction permet d’articuler la cause et l’effet dans un système où Dieu et la Nature sont une seule et même réalité.
La nature naturante : principe actif et cause immanente
La nature naturante correspond à la substance infinie, c’est-à-dire Dieu ou la Nature en tant que source de tout ce qui existe. Elle est en soi et conçue par soi, ce qui signifie qu’elle ne dépend de rien d’autre pour exister et être comprise. Spinoza définit cette nature comme cause libre, car elle existe par nécessité propre et non sous l’effet d’une autre cause.
Les attributs de cette nature sont infinis et expriment son essence. Toutefois, l’humain n’a accès qu’à deux d’entre eux :
- L’étendue, qui constitue l’essence des corps et du monde matériel.
- La pensée, qui inclut toutes les idées et l’activité intellectuelle.
La nature naturante est donc le fondement de toute réalité, le principe actif qui engendre l’existence des choses sans en être distinct.
La nature naturée : le monde manifesté
La nature naturée désigne tout ce qui découle de la nature naturante. Il s’agit de l’ensemble des choses finies qui existent dans l’univers, organisées sous forme de modes. Ces modes sont des modifications particulières de la substance infinie et se divisent en :
- Modes infinis immédiats : lois universelles de la nature (comme les lois physiques).
- Modes infinis médiats : régularités particulières observables dans le monde.
- Modes finis : tous les objets et êtres vivants qui existent temporairement.
Puisque la nature naturée est l’expression nécessaire de la nature naturante, rien n’existe en dehors de ce système d’interdépendance.
L’immanence et le rejet du libre arbitre
Spinoza insiste sur le fait que Dieu n’est pas une entité transcendante, mais totalement immanent au monde. Il n’est pas un créateur extérieur qui déciderait des choses librement : il est la substance unique d’où tout procède.
Cela implique que tout est déterminé : chaque événement suit une chaîne causale rigoureuse. L’idée de libre arbitre est donc une illusion, car les êtres humains, en tant que modes de la nature, sont soumis à ses lois. La liberté ne peut se comprendre que comme la nécessité d’agir selon sa propre nature.
L’homme dans l’ordre naturel
L’humain, en tant que mode fini, est lui aussi une partie de la nature. Son corps et son esprit sont deux expressions parallèles d’une même réalité, et ses actions sont gouvernées par les mêmes lois que l’ensemble des êtres. Il ne peut échapper aux lois de la nature, mais il peut les comprendre.
Cette compréhension, selon Spinoza, est le fondement de l’éthique : un être humain qui accepte la nécessité de toutes choses peut atteindre une forme de sagesse et de sérénité en vivant en harmonie avec la nature.
La connaissance intuitive comme accès à la vérité
Spinoza distingue trois formes de connaissance qui permettent à l’homme d’accéder à une meilleure perception de la nature :
- L’imagination : connaissances fondées sur l’expérience sensorielle, souvent trompeuses.
- La raison : compréhension rationnelle des lois de la nature.
- La connaissance intuitive : vision directe et immédiate de la réalité en tant que nécessité absolue.
La dernière forme de connaissance est celle qui permet à l’humain de se libérer des illusions et d’atteindre un état de joie durable.
Pourquoi cette distinction est essentielle
La différenciation entre nature naturante et nature naturée joue un rôle fondamental dans la philosophie de Spinoza. Elle permet de comprendre que tout ce qui existe procède d’une seule et même substance, sans créateur extérieur ou finalité prédéterminée. Cette vision remet en question les dogmes religieux et propose une lecture rigoureusement déterministe du monde.
Ainsi, en adoptant cette perspective, l’homme peut mieux comprendre sa place dans l’univers et apprendre à agir en accord avec la nécessité des choses, accédant ainsi à une forme de liberté fondée sur la connaissance.