Les transformations contemporaines de l’action collective en France

En France, l’action collective ne se résume plus aux grèves et aux syndicats. Elle s’est transformée, portée par de nouvelles causes, de nouveaux acteurs et des modes d’engagement inédits. À l’heure des réseaux sociaux et des enjeux mondiaux, les formes de mobilisation se réinventent constamment.

Sommaire

Une société en mouvement constant

Depuis les années 1960, l’action collective en France a profondément évolué. Ce qui, à l’origine, se jouait principalement dans le monde ouvrier sous forme de grèves massives et de manifestations syndicales, s’est transformé. Les formes de mobilisation, les causes défendues, les acteurs impliqués, les modes d’action et les moyens de communication ont changé avec la société. On passe aujourd’hui de luttes économiques traditionnelles à des revendications sociétales, culturelles, écologiques et identitaires.

Comprendre ce qu’est une action collective

Une démarche construite autour d’un objectif commun

L’action collective, c’est tout simplement une mobilisation de plusieurs personnes en vue d’atteindre un objectif partagé. Elle repose sur une coordination, qu’elle soit organisée par des syndicats, des partis, des associations ou des collectifs informels. Elle peut se manifester par des grèves, des manifestations, des blocages, des pétitions, des campagnes en ligne, etc.

Une logique qui a évolué avec le temps

Auparavant, on retrouvait une forte dominance du monde ouvrier, avec des objectifs économiques liés aux conditions de travail, au salaire ou à la défense de droits sociaux. Aujourd’hui, l’action collective s’est élargie à de nombreux domaines comme la défense de l’environnement, la lutte contre les discriminations, les droits des minorités ou encore la justice sociale à l’échelle mondiale.

Des objets de mobilisation de plus en plus diversifiés

Des revendications économiques toujours présentes

Même si elles sont moins visibles que par le passé, les luttes autour du travail n’ont pas disparu. La réforme des retraites, les grèves dans les hôpitaux, ou encore les mobilisations des enseignants montrent que la défense des acquis sociaux reste un moteur puissant de l’action collective. Toutefois, la forme change : les mobilisations sont moins massives, plus stratégiques, avec parfois un recours renforcé aux actions symboliques ou aux outils juridiques (comme les Prud’hommes).

Une montée des mobilisations sociétales

À côté des revendications économiques, on observe l’essor de nouveaux mouvements sociaux (NMS). Ces mobilisations se concentrent sur des valeurs dites post-matérialistes, comme l’égalité des genres, la lutte contre les violences faites aux femmes, les droits LGBTQIA+, la cause climatique ou la dénonciation des violences policières. Ce changement est étroitement lié à la montée de l’individualisme, au recul des appartenances collectives traditionnelles et à l’élévation du niveau de vie.

Des luttes mêlées : les Gilets jaunes, un exemple marquant

L’exemple des Gilets jaunes illustre une hybridation entre les anciens et les nouveaux objets de l’action collective. Parti d’un ras-le-bol fiscal, le mouvement a très vite cristallisé des revendications diverses : pouvoir d’achat, démocratie directe, justice territoriale, et une exigence de reconnaissance. C’est un mouvement protéiforme, qui a échappé aux cadres traditionnels des syndicats ou des partis, et qui a redonné la parole à des citoyens invisibilisés.

Les acteurs de l’action collective en mutation

Les syndicats et partis en perte de vitesse

Pendant longtemps, les syndicats et partis politiques ont structuré les mobilisations collectives. Mais leur rôle s’est affaibli. Le taux de syndicalisation en France a chuté drastiquement : 25 % dans les années 1970, à moins de 10 % aujourd’hui. De nombreux jeunes salariés n’adhèrent plus aux logiques collectives traditionnelles. Les partis, eux, souffrent d’une crise de légitimité. Beaucoup sont perçus comme déconnectés du terrain, et accusés d’être composés de professionnels de la politique éloignés des réalités.

L’émergence de collectifs spontanés

Face à cette perte d’influence des structures classiques, de nouveaux acteurs apparaissent. Les mobilisations se font via des collectifs citoyens, parfois sans existence juridique formelle, souvent nés sur les réseaux sociaux. C’est le cas des marcheurs pour le climat, du collectif Nous Toutes, ou encore du mouvement Youth for Climate. Ces groupes s’organisent de manière horizontale, sans hiérarchie marquée, et s’appuient sur des valeurs de solidarité, d’inclusivité et d’intersectionnalité.

Des profils engagés différents

Même si l’engagement semble s’être démocratisé, les personnes les plus investies sont souvent très diplômées, appartenant aux classes moyennes et supérieures. Cela s’explique par le fait que l’action collective nécessite un capital culturel : maîtriser les codes, les outils de mobilisation, savoir s’exprimer dans l’espace public. Toutefois, des mouvements comme les Gilets jaunes montrent que des catégories populaires s’engagent aussi fortement, souvent en dehors des circuits institutionnels.

Des répertoires d’action en constante évolution

Du local au global : trois grandes phases

L’historien Charles Tilly a distingué trois grandes phases de répertoires d’action collective.

  1. Le répertoire local-patronné (XVIIe – XIXe siècle) : les mobilisations étaient locales, souvent violentes, et les manifestants cherchaient le soutien de notables pour faire entendre leurs revendications.
  2. Le répertoire national-autonome (XIXe – XXe siècle) : les syndicats et partis politiques organisent des mobilisations massives et ritualisées, comme les manifestations du 1er mai ou les grèves générales.
  3. Le répertoire transnational-solidariste (fin XXe – aujourd’hui) : les mobilisations prennent une dimension internationale, souvent spectaculaires, symboliques ou numériques, comme le boycott, les die-in, ou encore les campagnes mondiales sur les réseaux.

Des formes d’action renouvelées

La désobéissance civile, l’occupation de lieux symboliques, le cyberactivisme ou encore la consommation engagée font désormais partie intégrante des répertoires d’action. Des militants n’hésitent pas à mettre en scène leur action, à interpeller les médias, à créer des happenings ou à occuper l’espace public de manière créative.

Certains mouvements privilégient des gestes simples et individuels, comme le boycott de produits, la signature de pétitions en ligne ou le refus de consommer certains médias ou services. Ces actions, moins coûteuses en temps et en énergie, permettent de s’engager à son rythme tout en contribuant à une mobilisation plus large.

Le numérique, un levier d’engagement puissant

Les réseaux sociaux comme terrain de lutte

Les plateformes comme Instagram, X (ex-Twitter), Facebook ou TikTok sont devenues des outils stratégiques pour mobiliser, sensibiliser, fédérer. Elles permettent de contourner les médias traditionnels, de faire entendre des voix souvent marginalisées, et de créer des campagnes virales à grande échelle.

Le hashtag #MeToo est l’un des meilleurs exemples. En quelques jours, des millions de femmes à travers le monde ont partagé leurs expériences de violences sexuelles, provoquant un choc culturel mondial.

Une accessibilité nouvelle

Internet a rendu l’engagement plus accessible. Un simple clic suffit pour signer une pétition, faire un don, partager un post militant. Cet engagement peut paraître passif, mais il participe à la diffusion d’idées, à la création de contre-discours, et peut même aboutir à des mobilisations réelles dans l’espace public.

Des obstacles persistants à la mobilisation collective

Le paradoxe du passager clandestin

Le sociologue Mancur Olson a théorisé un phénomène toujours d’actualité : le paradoxe de l’action collective. Selon lui, si tout le monde profite d’une mobilisation réussie, alors chacun peut être tenté de laisser les autres s’engager à sa place, pour éviter les coûts (temps, énergie, argent). Ce comportement freine la mobilisation, car sans un noyau d’individus prêts à prendre des risques, le mouvement ne décolle pas.

La précarisation et l’individualisation comme freins

Aujourd’hui, la précarité de l’emploi, l’isolement, l’atomisation des parcours rendent plus difficile la constitution de collectifs soudés. Les logiques de compétition entre salariés, la peur de perdre son job en cas de grève, ou encore le repli sur soi encouragé par certains discours politiques participent à l’affaiblissement des solidarités collectives.

Une action collective qui se réinvente

Des formes hybrides et créatives

Beaucoup de mobilisations empruntent à plusieurs répertoires en même temps. Une manifestation peut être à la fois symbolique, revendicative et festive. Un collectif peut réunir des militants de terrain, des experts scientifiques, des artistes et des influenceurs.

On observe aussi des alliances inédites entre mouvements sociaux, ONG, collectifs étudiants, chercheurs, travailleurs précaires ou personnalités publiques, capables de construire des mobilisations puissantes, ancrées localement mais connectées mondialement.

Une démocratie vivante mais exigeante

Ce renouvellement de l’action collective montre que, malgré les difficultés, la démocratie reste vivante. Les jeunes générations participent à leur manière, souvent en dehors des institutions, mais avec une énergie nouvelle, plus horizontale, plus inclusive, plus inventive. L’engagement se fait souvent à l’intersection du quotidien, du politique et du personnel, dans une société où l’on cherche à donner du sens à ses choix.

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