Une construction historique et sociale
Une catégorie ancienne aux contours mouvants
La notion de classe moyenne ne date pas d’hier. Elle apparaît dès le XIXe siècle, souvent pour désigner une catégorie intermédiaire entre l’aristocratie et le peuple. À l’époque, elle renvoie plutôt à la petite bourgeoisie. Ce n’est qu’au XXe siècle que la classe moyenne salariée se développe vraiment, sous l’effet de l’essor des emplois stables dans l’administration, l’enseignement, la santé ou les grandes entreprises.
La société salariale et l’idéal de moyennisation
Avec les Trente Glorieuses, on assiste à une « moyennisation » de la société française. L’accès à la consommation de masse, à la propriété, à l’éducation supérieure et à des emplois protégés nourrit l’idée que tout le monde pourrait devenir « moyen ». Le salariat stable, les hausses de revenus, et la protection sociale semblaient assurer à chacun une certaine sécurité économique et une perspective de mobilité ascendante.
Une réalité économique de plus en plus fragile
Des seuils flous mais significatifs
Définir objectivement la classe moyenne reste compliqué. L’OCDE parle des personnes dont le revenu se situe entre 75 % et 200 % du revenu médian. En France, cela correspond, selon l’Observatoire des inégalités, à un revenu mensuel entre 1 530 et 2 787 euros pour une personne seule.
Une érosion du pouvoir d’achat
Depuis les années 2000, les classes moyennes sont confrontées à une hausse continue des dépenses contraintes : logement, énergie, transports, alimentation. Dans le même temps, les salaires stagnent et les perspectives de progression se réduisent. Le sentiment de déclassement gagne du terrain.
Une polarisation sociale croissante
La classe moyenne semble aujourd’hui prise en étau entre les plus riches et les plus pauvres. Une partie grimpe vers les catégories aisées grâce à l’héritage ou à des revenus financiers. Une autre glisse vers la précarité, enchaînant les contrats courts et vivant sous la pression du budget. Le socle commun qui unifiait la classe moyenne se fissure.
Un sentiment d’appartenance en transformation
La moyennisation en perte de vitesse
Autrefois centrale, l’idée de faire partie d’une majorité « moyenne » s’estompe. Selon une étude de Sociovision, seulement 58 % des Français se considèrent aujourd’hui comme classe moyenne, contre 70 % en 2008. La peur du déclassement est bien présente.
Une fragmentation culturelle et sociale
Les classes moyennes ne partagent plus les mêmes aspirations ni les mêmes repères. Certains regardent avec nostalgie le passé, d’autres vivent dans l’urgence du quotidien, et d’autres encore cherchent des alternatives durables pour le futur. Ces visions divergentes créent une mosaïque de classes moyennes aux intérêts parfois opposés.
Le cas des « décrochés »
Une fraction importante vit dans l’angoisse permanente des fins de mois. Ces « décrochés » doivent faire des choix drastiques : sacrifier les loisirs, se priver de vacances, et arbitrer entre qualité et quantité pour se nourrir. Ils se battent pour ne pas sombrer, malgré une activité professionnelle souvent continue.
Des tensions visibles dans les comportements de consommation
Des arbitrages constants
La consommation devient un terrain de lutte. Pour maintenir un minimum de confort, la classe moyenne multiplie les stratégies de débrouille : chasse aux promotions, inscription aux programmes de fidélité, achat de produits à date courte… La consommation est morcelée, tendue, presque épuisante.
Le déclin des hypermarchés
Autrefois symbole de l’unité des classes moyennes, les grandes surfaces voient leur influence s’éroder. Les enseignes low-cost comme Lidl séduisent par leur promesse de qualité à petit prix, tandis que les hypermarchés ne parviennent plus à répondre aux attentes d’un public fragmenté.
Vers une recomposition des classes moyennes ?
Des clivages internes de plus en plus marqués
Il devient difficile de parler d’une seule classe moyenne. On observe une classe moyenne supérieure, proche des cadres et professions libérales, souvent diplômée, connectée, sensible aux questions écologiques et culturelles. Et une classe moyenne inférieure, plus fragile économiquement, qui se rapproche des classes populaires par ses conditions de vie.
Une nouvelle géographie sociale
La répartition spatiale reflète ces inégalités. Les métropoles attirent les classes les plus favorisées, alors que les territoires périurbains et ruraux concentrent les populations les plus fragiles. Les écarts entre ces zones se creusent, creusant également le fossé entre différentes parties des classes moyennes.
Et demain ?
Si la classe moyenne ne disparaît pas totalement, elle se transforme en profondeur. Moins unie, plus diverse, parfois divisée, elle continue d’exister, mais sous des formes nouvelles. Pour comprendre la société actuelle, il ne suffit plus de parler de « la » classe moyenne, il faut parler des classes moyennes.