Croissance, externalités, seuils : le vrai coût macro

On célèbre souvent la croissance comme un score à faire grimper. Mais dès qu’on intègre les externalités et les seuils (écologiques, sociaux, financiers), la partition change.

Sommaire

Rappels express : de quoi parle-t-on ?

Par croissance, on désigne l’augmentation soutenue de la production mesurée en volume (PIB réel). Deux moteurs : la croissance extensive (plus de capital et/ou de travail) et la croissance intensive (meilleure productivité, progrès technique, capital humain). On distingue la croissance effective (observée) et la croissance potentielle (si tous les facteurs étaient utilisés au mieux).

Externalités : pourquoi la croissance peut coûter plus cher qu’elle ne rapporte

Une externalité est un effet non pris en compte par le prix de marché. Positives ou négatives, elles déforment le calcul économique.

  • Environnement : émissions, épuisement du capital naturel, pertes de biodiversité. Coûts diffus, mais réels pour la santé, l’agriculture, les assurances.
  • Social : précarisation, accidents du travail, inégalités territoriales. Effets sur la demande, la cohésion, la stabilité politique.
  • Technologique : diffusion du numérique et de l’IA qui dopent la productivité mais déplacent l’emploi, exigent des reconversions et des compétences nouvelles.
  • Financier : bulles d’actifs, endettement privé, risque de crises qui effacent en quelques mois des années de gains.

« On ne gère bien que ce que l’on mesure. » Traduction macro : si tes indicateurs ignorent les coûts cachés, ta politique publique crée des problèmes au lieu d’en résoudre.

Seuils : quand “un peu plus” fait “beaucoup trop”

Un seuil est un point à partir duquel la trajectoire change de régime. On peut croître « vite » en deçà, et détruire de la valeur au-delà.

Type de seuilIndicateurs utilesSignal d’alertePistes d’action
ÉcologiqueIntensité carbone, empreinte matière, stress hydriqueHausse des sinistres climatiques, rendements décroissants des solsPrix du carbone, normes, innovation bas carbone, sobriété
SocialTaux d’emplois de qualité, accidents, Gini, mobilité socialeTurnover élevé, conflits, baisse de la productivité marginaleFormation, revalorisation, négociation, filets de sécurité
Macro-financierCrédit/PIB, prix de l’immobilier, déficit courantCrédit trop bon marché, bulles, sortie de capitauxMacroprudentiel, amortisseurs, régulation des risques
CompétencesInvestissement R&D, capital humain, adéquation postes/skillsPénuries, salaires qui s’emballent dans quelques métiersFormation continue, alternance, immigration qualifiée

Quand la croissance s’autolimite : trois boucles à connaître

Boucle économique : le piège capital-intensif

Si la croissance repose surtout sur le capital au détriment de l’emploi, la masse salariale progresse moins vite. Or, la plupart des entreprises vendent… à des ménages. Demande bridée, investissement en berne, productivité qui plafonne : la machine ralentit.

Boucle écologique : éroder le capital naturel, payer deux fois

Produire plus avec des procédés polluants génère des coûts futurs (santé, infrastructures, agriculture). Ces coûts reviennent via les impôts, les primes d’assurance, ou des chocs d’offre (sécheresses, inondations). Sans découplage crédible entre PIB et pressions environnementales, la croissance devient fragile.

Boucle sociale : quand le social devient macro

Salaires d’entrée trop bas, horaires imprévisibles, sous-traitance en cascade : la productivité baisse avec la démotivation et la rotation. La confiance recule, la polarisation s’installe, la stabilité du cadre d’affaires se détériore. Le coût est macroéconomique.

Mesurer le vrai coût macro : méthode simple pour raisonner

1. Partir du PIB, mais ne pas s’y arrêter

  • Identifier les externalités majeures du secteur/territoire.
  • Lister les coûts évités si l’on déploie une politique (santé, sinistres, congestion).
  • Ajouter les coûts de transition (investissements, reconversions, innovation).

2. Mettre un prix, sans se raconter d’histoires

  • Utiliser des analyses coûts-bénéfices avec hypothèses explicites.
  • Mobiliser des valorisations prudentes (par exemple, valeurs de temps, santé, sécurité) plutôt que de les ignorer.
  • Tester la sensibilité : si ton résultat s’inverse pour un paramètre mineur, ta politique est fragile.

3. Regarder les effets distributionnels

Qui paie ? Qui gagne ? Une croissance qui concentre les gains peut affaiblir la demande globale et renforcer l’instabilité. La répartition, c’est de la macro, pas un simple sujet « social ».

Qualité de la croissance : ce qui compte vraiment

Allouer le capital vers la productivité nette

  • Énergie et process sobres (réduction des pertes, efficacité, matériaux recyclés).
  • Investissements immatériels : R&D, data, design, organisation.
  • Capital humain : formation continue, reconnaissance des compétences, prévention santé.

Aligner prix et normes avec les externalités

  • Signal-prix : tarification carbone, bonus-malus, péages intelligents.
  • Normes claires et progressives : elles donnent de la prévisibilité et stimulent l’innovation.
  • Aides ciblées et temporaires : pour amortir les coûts de transition sans subventionner à perte.

Stabiliser la trajectoire macro

  • Outils macroprudentiels pour éviter les emballements du crédit.
  • Automatismes budgétaires (stabilisateurs) pour absorber les chocs.
  • Coopération territoriale : éviter la concurrence fiscale qui érode les bases de financement.

Boîte à outils pour ta copie (ou ton brief)

Définitions et enchaînements utiles

  • Externalité négative → coût non payé par l’émetteur → surproduction de l’activité concernée.
  • Seuil → changement de régime (écologique, social, financier) → pertes macro supérieures aux gains de court terme.
  • Découplage → relatif (PIB ↑ plus vite que pressions) vs absolu (pressions ↓ quand PIB ↑). C’est le second qui compte pour la soutenabilité.

Exemples à mobiliser selon l’angle

  • Éco : croissance intensive vs extensive, baisse de la part salariale et demande agrégée.
  • Écologie : tarification carbone, rénovation énergétique, infrastructures résilientes.
  • Social : sécurisation des parcours, négociation sur le temps de travail, prévention des risques.

Schéma de plan possible

  • I. La croissance crée de la valeur mais ignore des coûts (externalités)
  • II. Au-delà de certains seuils, elle s’autolimite (boucles éco/écolo/sociales)
  • III. Qualité de la croissance : instruments pour aligner incitations et soutenabilité

Idée forte à retenir

« Plus » n’est pas toujours « mieux ». Le vrai enjeu macro n’est pas de faire monter le PIB coûte que coûte, mais d’orienter l’accumulation vers une productivité nette des coûts cachés, en restant en deçà des seuils critiques qui détruisent la prospérité future. Une croissance de qualité se mesure à sa capacité à créer des revenus durables, des emplois décents et des environnements vivables, sans refiler l’addition aux autres.

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