La palme d’or : le monologue d’Otis
Impossible de commencer ce classement sans évoquer ce qui est devenu, sans doute, la tirade la plus célèbre du cinéma français contemporain. Ce moment de grâce, totalement improvisé par Édouard Baer, est la réponse par excellence à toute question existentielle (ou lors d’un entretien d’embauche un peu trop sérieux).
1. La bonne situation
« Mais vous savez, moi je ne crois pas qu’il y ait de bonnes ou de mauvaises situations. Moi, si je devais résumer ma vie, aujourd’hui avec vous, je dirais que c’est d´abord des rencontres, des gens qui m’ont tendu la main peut-être à un moment où je ne pouvais pas, où j’étais seul chez moi. Et c’est assez curieux de se dire que les hasards, les rencontres forgent une destinée… Parce que quand on a le goût de la chose, quand on a le goût de la chose bien faite, le beau geste, parfois on ne trouve pas l’interlocuteur en face, je dirais le miroir qui vous aide à avancer. Alors ce n’est pas mon cas, comme je disais là, puisque moi au contraire j’ai pu, et je dis merci à la vie, je lui dis merci, je chante la vie, je danse la vie… je ne suis qu’amour ! »
Les leçons d’architecture de Numérobis et Amonbofis
Le cœur du film repose sur ce duel fratricide entre l’architecte moderne et incompris (Numérobis) et son rival jaloux (Amonbofis). Leurs échanges, teintés de menaces et de non-sens, sont des pépites d’écriture.
- 2. La logique implacable : « Pas de pierre : pas de construction. Pas de construction : pas de palais. Pas de palais… pas de palais. » (Amonbofis)
- 3. La menace animalière : « Le lion ne s’associe pas avec le cafard. »
— « Quoi ? »
— « Le lion… ne S’ASSOCIE pas… avec le CAFARD. »
— « Ah ouais, parce que j’avais compris « le nion n’a jamais eu de placard » ! » (Amonbofis et Numérobis)
- 4. L’expertise immobilière : « C’est central, quoi. » (Les deux architectes, discutant d’un désert).
- 5. Le management de projet : « Et là… une grande allée avec plein d’statues, qu’on appellera la grande allée avec plein d’statues ! » (Numérobis).
- 6. La critique constructive : « Tu n’avances pas du tout cannabis. » (Numérobis).
- 7. Le défi physique : « Viens me le dire de profil si t’es un homme ! » (Amonbofis, profitant de son profil égyptien).
Quand les Romains perdent leur latin
Alain Chabat a su transformer les redoutables légions romaines en une troupe de bureaucrates dépassés et absurdes. Entre Caius Céplus et ses légionnaires, l’Empire en prend pour son grade.
- 8. L’hésitation grammaticale : « J’voulais dire « Bande de chacals, vous allez crever comme des chacals ». Mais ça faisait deux fois « chacals »… Quoi, on dit des « chacaux » ? » (Nexusis).
- 9. Le déni de réalité : « Nan nan, parce qu’en fait il s’appelle Astérix, Ob… »
— « PEU IMPORTE LEURS NOMS !!! » (Antivirus coupant la parole à Caius Céplus).
- 10. Le rêve capitaliste : « Roh cette nuit j’ai fait un rêve, je gagnais un million de sesterces. Et pis avec j’achetais une paire de chaussures, trop grandes pis moche en plus. » (Caiuscéplus).
- 11. Le compliment inattendu : « Au fait… sympa ta robe. » (Nexusis).
Culture pop et jeux de mots : la touche Chabat
Ce qui fait la force de Mission Cléopâtre, c’est sa capacité à mélanger l’univers de Goscinny et Uderzo avec des références musicales et télévisuelles anachroniques. C’est là que le film devient culte.
- 12. L’hommage à Claude François : « C’est quoi ces lumières là-bas au loin ? »
— « C’est les lumières du port d’Alexandrie… »
— « … fait naufrager les papillons de ma jeunesse. »
— « Hein ? »
— « Non, je ne sais pas pourquoi je dis ça… » (Astérix et Panoramix).
- 13. La leçon de poésie : « Je suis mon cher ami, très heureux de te voir. »
— « C’est un Alexandrin ! » (Panoramix, soulignant la métrique parfaite).
- 14. Le jargon maritime approximatif : « Paré à l’abordage papa ! Souquez les artimuses ! »
— « Du calme ma fille. En plus ça veut rien dire « souquez les artimuses ». » (Barbe Rouge).
- 15. La magie du camouflage : « On me voit. On me voit plus. » (Cartapus, l’espionne).
Les pépites inclassables
Enfin, il y a ces phrases qui sortent de nulle part, souvent dues à des personnages secondaires ou à des moments de pure folie scénaristique.
- 16. La gastronomie locale : « Vous allez voir c’est très goutu. Ou il va vraiment y avoir une folies pour la bouche. Des croquettes, des brochettes… » (Otis, décrivant le menu).
- 17. L’incompréhension linguistique : « Keteb ! »
— « Ketebecé. »
— « Ketebécé si ils sont au moins 8. »
— « Ne dites pas Keteb, c’est moi qui ai raison. Keteb, Keteb ouvert, Keteb généreux. » (Débat stérile entre Otis et Numérobis).
- 18. La revendication sociale : « Pas content, Pas content ! » (La foule des ouvriers en grève).
- 19. La faim insatiable : « Qu’est ce que vous avez comme « bœufs » ? » (Obélix, au restaurant).
- 20. Le cri du cœur : « Hey mon pâté ! » (Un enfant dans la foule, voyant son pâté de sable écrasé).
Pourquoi on rit encore 20 ans après ?
Si ces répliques fonctionnent toujours, c’est parce qu’elles capturent une alchimie rare. Alain Chabat a offert à ses acteurs un terrain de jeu immense, mêlant le respect de la bande dessinée originale à un humour absurde digne des Nuls. La récente version restaurée du film a prouvé que la magie n’avait pas pris une ride : les salles étaient combles, et le public, composé autant de trentenaires nostalgiques que de jeunes découvrant le chef-d’œuvre, récitait les dialogues en chœur.
