Le président tunisien Kaïs Saïed a remporté l’élection présidentielle du dimanche 6 octobre 2024 avec une majorité écrasante de 90,7 % des voix, selon l’annonce officielle de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Élections (Isie). Ce résultat confirme sa réélection à la tête du pays, mais la victoire est ternie par un taux de participation historiquement bas de 28,8 %, un chiffre qui souligne le désintérêt croissant des Tunisiens pour la vie politique.
Une victoire sans suspense
Dès les premières estimations diffusées dimanche soir, la victoire de Kaïs Saïed était largement attendue. De nombreux experts et observateurs avaient prédit un résultat favorable pour le président sortant, qui avait verrouillé le processus électoral en écartant la plupart de ses rivaux potentiels. Les deux seuls candidats ayant pu se présenter face à lui, Ayachi Zammel et Zouhair Maghzaoui, ont respectivement recueilli 7,35 % et 1,97 % des voix.
Le scrutin a été marqué par une abstention record, le taux de participation s’établissant à 28,8 %, le plus bas depuis l’instauration de la démocratie en 2011. La jeunesse, particulièrement mobilisée lors de la dernière élection présidentielle en 2019, a cette fois déserté les urnes, avec seulement 6 % de participation dans la tranche d’âge 18-35 ans. En revanche, la participation des 36-60 ans a atteint 65 %, ce qui montre une fracture générationnelle importante dans l’engagement politique en Tunisie.
Une campagne verrouillée
Kaïs Saïed a été accusé par de nombreuses organisations, tant tunisiennes qu’internationales, d’avoir verrouillé le processus électoral pour s’assurer une victoire confortable. Plusieurs candidats de premier plan ont été éliminés lors de la phase de dépôt des candidatures, certains étant même emprisonnés, comme Ayachi Zammel, qui a été condamné à plusieurs reprises pour des irrégularités liées à ses parrainages électoraux.
L’élimination des principaux opposants de Saïed a suscité des critiques sur la légitimité de cette élection. Des ONG tunisiennes et étrangères ont dénoncé l’autorité électorale, affirmant qu’elle avait perdu son indépendance et que le processus avait été faussé pour favoriser la réélection de Saïed.
Un président controversé mais populaire
Kaïs Saïed, âgé de 66 ans, reste une figure populaire malgré les critiques qui entourent sa gouvernance. Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, il a mené une série de réformes controversées, notamment la suspension du Parlement et la prise de pouvoirs élargis en 2021, suscitant des accusations de dérive autoritaire. Toutefois, son discours anti-establishment et son engagement à lutter contre la corruption continuent de séduire une partie importante de la population.
Lors de son discours post-victoire, Saïed a affirmé vouloir « poursuivre la révolution de 2011 » et bâtir un pays débarrassé des corrompus et des complots. Il a également réitéré son opposition à toute « ingérence étrangère » dans les affaires de la Tunisie, un message qui trouve écho auprès de ses partisans.
Malgré sa réélection, la faible participation électorale et l’absence de réels opposants soulèvent des questions sur la légitimité du mandat de Kaïs Saïed. Le politologue tunisien Hatem Nafti a déclaré que la légitimité de l’élection est entachée, d’autant plus que les candidats capables de rivaliser avec Saïed ont été écartés du processus. Le faible nombre de voix exprimées en sa faveur – environ 2,4 millions sur les 9,7 millions d’électeurs inscrits – illustre le désengagement politique d’une partie de la population tunisienne.
En dépit de cette victoire, le président devra faire face à des défis colossaux au cours de son nouveau mandat. La crise économique qui sévit en Tunisie, avec un taux d’inflation galopant et un chômage qui touche 16,4 % de la population active, pèse lourdement sur le quotidien des Tunisiens. Saïed n’a pas réussi à relancer l’économie durant son premier mandat, et son rejet des diktats du FMI complique l’accès à des aides financières internationales essentielles pour le pays.
Sur le plan politique, la répression des opposants et de la société civile s’est intensifiée au fil des années. Depuis 2023, plusieurs figures politiques, dont Rached Ghannouchi, leader du mouvement islamiste Ennahda, et des syndicalistes, avocats et militants des droits humains, ont été emprisonnés. Cette tendance à l’autoritarisme pourrait se poursuivre, menaçant davantage les acquis démocratiques de la révolution de 2011.
La réélection de Kaïs Saïed avec une majorité écrasante place la Tunisie à un tournant. Entre un pays en crise et une gouvernance critiquée pour ses dérives autoritaires, le second mandat du président sera déterminant pour l’avenir de la Tunisie. Les regards se tournent maintenant vers ses actions à venir, et sa capacité à répondre aux attentes de la population, tout en rétablissant une légitimité démocratique qui semble de plus en plus fragile.