Comprendre la mobilité sociale aujourd’hui
La mobilité sociale, c’est tout simplement le fait de changer de place dans la société. Si tu fais un métier plus qualifié ou mieux payé que celui de tes parents, on parle de mobilité ascendante. Si tu te retrouves dans une situation plus précaire qu’eux, c’est du déclassement. Et si tu occupes la même position sociale, on parle de reproduction sociale. Ce concept est essentiel pour comprendre comment une société permet – ou non – aux individus de s’élever socialement.
Les différentes formes de mobilité sociale
La mobilité intergénérationnelle
C’est la plus étudiée. Elle compare la position sociale d’un individu à celle de ses parents. Par exemple, si ton père était ouvrier et que tu deviens cadre, tu es dans un cas de mobilité intergénérationnelle ascendante.
La mobilité intragénérationnelle
Elle observe les évolutions au cours d’une seule vie. Si tu commences comme employé et que tu deviens chef de service quelques années plus tard, tu as connu une mobilité professionnelle, ou intragénérationnelle.
Mobilité verticale et horizontale
- Verticale : quand il y a une montée ou une descente dans la hiérarchie sociale.
- Horizontale : quand tu changes de métier ou de secteur sans que ton statut social évolue vraiment.
Fluidité sociale
Elle correspond à la capacité d’une société à laisser les gens changer de position sociale sans que l’origine joue un rôle majeur. Une société fluide, c’est une société plus juste, où tout le monde a les mêmes chances.
Comment on mesure la mobilité sociale
Les tables de mobilité
Il en existe deux types principaux, très utilisés par les sociologues.
La table de destinée
Elle montre ce que deviennent les enfants selon la catégorie sociale de leurs parents. Par exemple : combien d’enfants d’ouvriers deviennent cadres ? Combien restent ouvriers ? Elle permet de voir le poids de la reproduction sociale.
La table de recrutement
Elle fait le chemin inverse : elle part d’une catégorie actuelle et regarde d’où viennent les individus. Par exemple : qui sont les parents des cadres actuels ? Cela permet de voir l’ouverture d’un groupe social.
Le taux de mobilité
L’Insee distingue trois types de mobilité :
- Ascendante : quand on grimpe dans la hiérarchie.
- Descendante : quand on perd en statut social.
- Horizontale : quand on change de secteur ou de métier sans changement de statut.
En France, environ 70 % des femmes et 65 % des hommes ont connu une forme de mobilité sociale. Mais les trajectoires ne sont pas toujours comparables.
Les facteurs qui influencent la mobilité sociale
Le niveau de diplôme
Un des facteurs les plus puissants. Plus ton diplôme est élevé, plus tu as de chances d’accéder à un emploi qualifié. Cela dit, avoir un bac+5 ne garantit pas toujours un super job.
Le paradoxe d’Anderson
C’est le constat que certains jeunes ont un diplôme plus élevé que leurs parents, mais n’occupent pas forcément une position sociale supérieure. En cause ? Le trop grand nombre de diplômés par rapport aux postes disponibles dans les catégories les plus hautes.
L’origine sociale
C’est souvent un frein. Statistiquement, un enfant de cadre a beaucoup plus de chances de devenir cadre qu’un enfant d’ouvrier. Pourquoi ? Parce que les cadres transmettent des ressources : un capital économique, culturel et social.
Le capital culturel
Pierre Bourdieu a mis en lumière ce concept. Si tes parents t’ont transmis une culture valorisée par l’école (lecture, vocabulaire, confiance en soi…), tu pars avec une longueur d’avance. À l’inverse, si ta culture familiale est éloignée de celle attendue à l’école, ça peut créer un décalage.
Les stratégies familiales
Raymond Boudon insiste sur les choix rationnels des familles. Certaines préfèrent miser sur des études courtes, moins risquées financièrement, surtout quand elles n’ont pas les ressources pour assurer un long parcours scolaire. Résultat : des enfants bons à l’école peuvent se retrouver dans des filières moins valorisées.
L’évolution des structures professionnelles
La tertiairisation de l’économie (moins d’emplois dans l’agriculture ou l’industrie, plus dans les services) pousse mécaniquement certaines mobilités. Il y a moins d’ouvriers qu’avant, donc les enfants d’ouvriers doivent faire autre chose. On parle alors de mobilité structurelle.
Mais cette évolution ne garantit pas une mobilité ascendante pour tout le monde. Quand les emplois qualifiés se raréfient, les diplômes peuvent perdre de leur valeur.
Le genre
Les femmes réussissent mieux à l’école, mais elles sont encore sous-représentées dans les postes à haute responsabilité. Elles sont aussi plus souvent cantonnées à des secteurs moins bien rémunérés. Leur mobilité ascendante par rapport à leur mère est forte, mais comparée à leur père, c’est une autre histoire.
Le territoire
La géographie sociale joue aussi. Les jeunes de certaines zones rurales ou de banlieues ont parfois moins d’opportunités, moins d’accès à l’information ou aux écoles prestigieuses. Le lieu de résidence agit alors comme un filtre sur les possibilités d’ascension.
Les limites des outils de mesure
Les PCS
Les professions et catégories socioprofessionnelles sont pratiques pour classer, mais elles ne sont pas toujours précises. Par exemple, passer d’ouvrier non qualifié à ouvrier qualifié est une forme de mobilité, mais qui reste invisible dans les tables classiques.
Le ressenti
Les statistiques ne disent pas tout. Tu peux avoir une meilleure position que tes parents, mais si ton diplôme ne te permet pas de décrocher un job stable, tu peux ressentir un déclassement.
Les femmes invisibilisées
Les études de mobilité ont longtemps été faites sur les hommes, car les femmes étaient moins présentes sur le marché du travail. Même aujourd’hui, comparer une fille à sa mère est parfois difficile, surtout si la mère était inactive. Et comparer à son père peut donner une image biaisée, car les femmes n’ont pas le même accès à certains types de postes.
Mobilité observée, structurelle et nette
Quand on observe la mobilité dans une société, il faut faire la distinction entre trois notions :
- Mobilité observée : celle qu’on constate dans les tables.
- Mobilité structurelle : due aux changements économiques et de métiers disponibles.
- Mobilité nette : ce qui reste après avoir retiré l’effet de la mobilité structurelle. C’est là qu’on voit vraiment si la société est ouverte.
Fluidité sociale et égalité des chances
La fluidité sociale mesure la probabilité d’accéder à une position sans que ton origine sociale joue un rôle. Si elle est forte, c’est que la société est plutôt équitable. Mais une mobilité forte n’est pas toujours signe de fluidité : elle peut être uniquement due aux changements structurels.
Exemple : si les métiers d’agriculteurs disparaissent, les enfants d’agriculteurs feront forcément autre chose. Mais ça ne veut pas dire qu’ils ont eu plus de chances que les autres.
Famille, école et mobilité
Le rôle de l’école
L’école est censée être le grand moteur de l’égalité des chances. En théorie, tout le monde part sur un pied d’égalité. En pratique, ça se passe autrement. L’inégalité des résultats scolaires reste marquée selon l’origine sociale.
Même avec un même niveau de diplôme, l’origine joue encore sur la façon dont ce diplôme est utilisé. Deux diplômés bac+5 ne partent pas avec les mêmes codes, les mêmes réseaux ou les mêmes stratégies selon leur milieu d’origine.
Les ressources familiales
L’argent, le temps passé à aider aux devoirs, le réseau de contacts : tout ça pèse lourd. Un enfant qui a un parent avocat aura plus facilement accès à des stages valorisants, ou à des infos pour choisir les meilleures écoles. Et dans certaines familles, la réussite scolaire est plus valorisée, plus encadrée.
Les familles monoparentales, ou en situation de précarité, peuvent moins accompagner leurs enfants, que ce soit par manque de temps, de moyens, ou de connaissance du système scolaire.
Séparation parentale et effets différenciés
Des recherches montrent que les enfants de parents séparés ont en moyenne un niveau d’étude plus faible, surtout si la séparation survient dans des périodes clés comme le CP ou l’entrée au collège. Et cet effet semble plus fort pour les garçons que pour les filles.
Les effets sociaux de la mobilité
La mobilité sociale a des effets importants sur la société :
- Elle peut renforcer le sentiment de justice sociale quand elle fonctionne bien.
- Elle peut créer du désenchantement ou du mal-être quand les efforts ne sont pas récompensés (par exemple chez les diplômés précaires).
- Elle structure les ambitions et les stratégies éducatives des familles