La règle du « 1 kilomètre = 1 minute » ou le piège de la mobilité
C’est la première mécanique d’exclusion pointée par le rapport. En zone rurale, la dépendance à la voiture est totale. Mais dans les couples hétérosexuels, l’accès au volant est loin d’être égalitaire. Isabelle Dugelet, maire de La Gresle (Loire), dresse un constat amer mais réaliste : lorsque le ménage possède deux véhicules, « Monsieur a souvent la plus récente et la plus fiable, tandis que Madame récupère la vieille voiture pour gérer le travail et les enfants ».
Cette répartition, qui semble anodine, a des conséquences directes sur la carrière des femmes. Par peur de la panne ou faute de budget carburant, beaucoup renoncent à des postes qualifiés situés trop loin. C’est le cas d’Anaïs, 31 ans, citée dans l’étude, qui a dû refuser un emploi mieux rémunéré pour des raisons purement géographiques. Résultat : les femmes acceptent des jobs alimentaires, moins payés, simplement parce qu’ils sont plus proches.
La « théorie du pot de yaourt » : comment les femmes se ruinent sans le voir
L’étude met en lumière un mécanisme financier redoutable, théorisé par l’essayiste Titiou Lecoq et confirmé ici par les données de terrain : la répartition des dépenses.
- Les hommes investissent dans le durable : le remboursement du crédit de la maison, l’achat de la voiture neuve, les travaux. Ils se constituent un patrimoine.
- Les femmes gèrent le périssable : les courses alimentaires, les vêtements des enfants, les fournitures scolaires.
Félix Assouly, co-auteur du rapport, résume brutalement la situation : « L’argent des femmes disparaît dans le quotidien, tandis que celui des hommes construit du patrimoine ». Le réveil est brutal en cas de séparation. Monsieur repart avec la maison et la voiture (qui sont à son nom ou qu’il a remboursées), et Madame repart avec… rien, ses dépenses de supermarché ne laissant aucune trace comptable.
Les chiffres sont alarmants : 27 % des femmes vivant en milieu rural estiment qu’elles ne s’en sortiraient pas financièrement en cas de rupture (contre 21 % des urbaines et seulement 9 % des hommes).
Déserts médicaux et crèches : la double peine
Le « malus » ne s’arrête pas au porte-monnaie. Il touche aussi la santé et la charge mentale, exacerbées par la fracture territoriale.
« J’ai essayé Saintes, puis Cognac, puis Rochefort… Ici, il y avait presque un an d’attente. »
Ce témoignage d’Alex, 44 ans, qui a dû retourner en région parisienne pour obtenir une simple mammographie, illustre la violence des déserts médicaux pour les femmes rurales. Côté garde d’enfants, l’équation est tout aussi impossible : on compte à peine 8 places de crèche pour 100 enfants à la campagne, contre 26 en ville. Conséquence « rationnelle » pour le couple : c’est celle qui gagne le moins (souvent la femme) qui réduit son temps de travail ou s’arrête pour gérer la famille, accélérant sa propre précarité.
« Monsieur dehors, Madame dedans »
Au-delà des chiffres, c’est une barrière symbolique qui persiste. Salomé Berlioux, directrice de l’association Rura, note une domination spatiale : les hommes occupent l’espace extérieur et les tâches valorisantes, tandis que les femmes sont reléguées à l’intérieur. Ce sentiment d’illégitimité freine même l’engagement citoyen : rares sont les femmes qui osent se présenter aux élections municipales, se demandant toujours si elles seront « assez compétentes », une question que leurs homologues masculins ne se posent jamais.








