L’État français a fabriqué illégalement 37 millions de fausses pièces

C’est une histoire digne d’une série Netflix, sauf que le scénario s’est joué dans les sous-sols feutrés de la République. Imaginez un instant : l’État, garant de la loi et de la monnaie, qui se transforme en faussaire pendant près de dix ans. Ce n’est pas une théorie du complot, mais une réalité historique exhumée des archives de la Banque de France par l’expert Yannick Colleu. Entre 1951 et 1960, pour sauver une économie en ruine, la France a secrètement frappé et écoulé 37,5 millions de fausses pièces d’or. Une supercherie institutionnelle qui, encore aujourd’hui, pèse sur le portefeuille des épargnants.
20 francs coq

Un contexte explosif : la France fauchée de l’après-guerre

Pour comprendre comment nos institutions en sont arrivées là, il faut rembobiner jusqu’au début des années 50. La Seconde Guerre mondiale a laissé le pays exsangue. Comme l’explique Yannick Colleu dans son ouvrage L’Or des Français, les coffres sont vides : l’or a été fondu massivement pour acheter des munitions. Or, à cette époque, le métal jaune n’est pas juste un bijou pour briller en société, c’est le baromètre absolu de la santé économique.

Depuis les accords de Bretton Woods signés en 1945, le monde tourne autour du dollar, seule monnaie convertible en or. Pour que le franc tienne la route face au billet vert, la France doit impérativement défendre son marché de l’or. La pression monte d’un cran en 1952 et 1954 lorsque l’État lance deux grands emprunts indexés sur le cours du Napoléon (la célèbre pièce de 20 francs). Si le cours de la pièce s’envole, la dette de l’État explose. Il fallait donc trouver un moyen de calmer le marché, vite et discrètement.

L’opération secrète : des « vrais faux » Napoléons

C’est là que le ministère des Finances de l’époque a une idée de génie… ou de voyou, selon le point de vue. La solution ? Inonder le marché avec des pièces d’or pour faire baisser les prix. Le problème, c’est que l’État ne dispose pas du stock nécessaire. Qu’à cela ne tienne : on va en fabriquer.

L’administration décide de relancer la frappe des pièces de 20 francs de type « Coq » (dessinées par Jules-Clément Chaplain). Le hic juridique est de taille : ces pièces, frappées à l’origine entre 1907 et 1914, ont été officiellement démonétisées en 1926. Elles n’ont plus cours légal. En les reproduisant à l’identique, avec les mêmes millésimes (les dates inscrites sur la pièce), l’État se rend coupable de fabrication de fausse monnaie, un délit puni par l’article 442-3 du Code pénal.

L’opération se fait dans une opacité totale. Pas de décret officiel, pas de loi, aucune trace dans le Journal Officiel. Tout repose sur une simple lettre interne et l’aval discret de la Banque de France. Même au sein de l’institution, le Conseil Général tique, mais le gouverneur passe en force. Au total, 37,5 millions de ces copies seront injectées dans l’économie sans que personne ne soit prévenu. Arnaud Manas, responsable du patrimoine de la Banque de France, admet aujourd’hui que c’était un « secret de Polichinelle ».

L’arnaque au carat : moins d’or pour les Français ?

Si l’histoire s’arrêtait là, on pourrait parler d’une simple manœuvre de stabilisation monétaire. Mais l’enquête de Yannick Colleu soulève un lièvre bien plus gênant : la qualité des pièces. Très vite, dès 1952, les professionnels du secteur tiquent. Ces pièces qui sont censées dater du début du siècle sont trop brillantes, trop neuves. On crie au faux.

Plus inquiétant, l’expert affirme que l’État aurait rogné sur la marchandise. Alors qu’un vrai Napoléon titre à 900 millièmes d’or pur, ces « refrappes Pinay » (du nom d’Antoine Pinay, figure politique de l’époque) afficheraient un titre de 897,3 millièmes. Visuellement, cela se traduirait par une couleur légèrement plus rouge, signe d’un alliage contenant plus de cuivre et moins d’or.

La différence semble infime ? Sur une pièce, peut-être. Mais multipliez cela par 37,5 millions d’exemplaires. Selon les calculs de l’expert, l’État aurait ainsi économisé environ 654 kilos d’or fin sur le dos des épargnants. Une accusation que la Banque de France réfute, invoquant des « tolérances de fabrication » et l’usure naturelle, mais les documents d’archives cités par Colleu, mentionnant un poids demandé de 5,789 g au lieu de 5,8065 g, sèment le doute.

La double peine fiscale pour les héritiers

Pourquoi ressortir ce vieux dossier aujourd’hui ? Parce que si vous avez hérité de pièces d’or de vos grands-parents, vous êtes peut-être concerné sans le savoir. Ces « fausses » pièces circulent toujours et sont traitées par le marché comme les vraies.

Le scandale se prolonge désormais sur le terrain fiscal. Selon la logique, puisque ces pièces sont des copies d’une monnaie qui n’avait plus cours légal, elles ne devraient pas être considérées comme de la monnaie, mais comme des « jetons ». La nuance est capitale : la vente de jetons est exonérée d’impôt jusqu’à 5 000 euros. Or, l’administration fiscale continue de les taxer au prix fort (taxe forfaitaire de 11,5 % sur les métaux précieux), comme s’il s’agissait de véritables monnaies.

Les détenteurs se retrouvent donc perdants sur toute la ligne : ils possèdent des pièces potentiellement moins riches en or que prévu, fabriquées illégalement par l’État, et sont taxés plein pot à la revente. La poule aux œufs d’or continue de pondre pour le fisc, 70 ans après les faits.

Avez-vous vérifié le fond de vos tiroirs ? Si vous possédez des Napoléons « Coq », jetez un œil à leur brillance et à leur teinte. Vous détenez peut-être, sans le savoir, une preuve historique du plus grand faux-monnayage d’État du XXe siècle.

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