Un signalement qui déclenche l’enquête
L’affaire débute en octobre 2018, après un signalement transmis par Tracfin, l’organisme chargé de la lutte contre le blanchiment. Ce signalement met en lumière des flux financiers jugés anormaux sur le compte bancaire d’une société basée à Dourdan, dans l’Essonne. Cette société, aujourd’hui radiée, était censée prendre en charge des mineurs isolés confiés par l’Aide sociale à l’enfance.
Mais selon les premiers éléments, une partie de l’argent aurait été redirigée vers des comptes personnels ou d’autres structures sans lien avec la protection de l’enfance.
L’analyse des comptes fait apparaître de nombreuses dépenses réalisées via carte bancaire, des virements réguliers vers la présidente de la société, ainsi que des transactions vers la société de restauration appartenant à son associée. Des fonds publics destinés à des missions sociales auraient donc servi à financer des activités privées.
Le parquet précise aussi que certains transferts d’argent atterrissaient chez des personnes identifiées comme fiscalement défaillantes. Ces dernières auraient ensuite reversé une partie de l’argent aux deux femmes mises en cause, créant ainsi un mécanisme de blanchiment sophistiqué.
Deux profils d’entrepreneuses en accusation
Les prévenues, âgées de 54 et 49 ans, sont une dirigeante d’entreprise et son associée. Elles seront jugées le 16 décembre prochain pour différents chefs d’accusation : abus de biens sociaux, blanchiment et, pour la première, faux en écriture.
« L’examen des flux en question mettait en évidence des opérations au bénéfice de personnes physiques et morales dont le lien avec la protection de mineurs isolés n’était pas établi »,
a précisé le parquet d’Évry.
Le chiffre officiellement retenu pour le préjudice global s’élève à environ 367 000 euros, répartis entre 144 739 euros détournés et 223 141 euros blanchis. Une somme qui interroge sur le manque de contrôles dans un secteur aussi sensible que celui de l’accueil des mineurs en danger.
Les deux femmes ont été déférées en juillet puis placées sous contrôle judiciaire. Leur procès aura lieu au tribunal correctionnel d’Évry-Courcouronnes, dans l’Essonne.
Un secteur de l’enfance sous tension
Cette affaire vient s’ajouter à d’autres alertes lancées sur la situation actuelle de l’Aide sociale à l’enfance. Depuis plusieurs années, de nombreux rapports dénoncent les failles systémiques : manque de personnel, pression budgétaire, surcharge des services de protection de l’enfance.
À la fin de l’année 2023, près de 400 000 mesures d’accompagnement étaient en cours, contre 355 000 en 2018. Une hausse constante des besoins, qui met en difficulté les départements responsables, souvent accusés de ne pas agir assez vite face aux alertes internes ou externes.
Dans un autre dossier, le département avait déjà été mis en demeure en avril pour de graves dysfonctionnements dans la prise en charge de mineurs victimes de prostitution. L’affaire avait soulevé une vague d’indignation et mis en lumière les failles de coordination entre institutions.
Ce nouveau dossier judiciaire, qui touche à l’intégrité des fonds publics alloués à l’enfance en danger, risque de raviver le débat autour des contrôles et de la gestion des structures privées partenaires de l’ASE.