Le réseau « Pravda » : au cœur de la manipulation
Les chercheurs du DFRLab et de CheckFirst ont analysé près de 3,7 millions d’articles diffusés par un vaste réseau appelé « Pravda », actif depuis août 2023. Sur ce total, 394 000 ciblaient directement la France, souvent en abordant des sujets polémiques comme l’immigration, les violences sexuelles ou les tensions sociales.
Ce réseau ne se contente pas de cibler l’hexagone. L’Allemagne, l’Ukraine, les Balkans ou encore la Moldavie font également partie des pays visés. Mais le français fait l’objet d’un traitement particulièrement poussé, avec des contenus spécialement traduits, adaptés, et diffusés vers des publics francophones en Afrique.
La puissance de l’intelligence artificielle au service du chaos
L’usage de l’IA change la donne. En générant des articles, des vidéos et même des faux visages en quelques secondes, les auteurs de la campagne peuvent produire en masse, réagir à chaud, et noyer les plateformes d’informations contradictoires. Des chatbots comme ceux de Meta, Google ou Mistral se sont d’ailleurs fait piéger en relayant sans filtre de fausses accusations, comme l’existence d’une liaison fictive d’Emmanuel Macron ou d’un achat bancaire imaginaire par le président ukrainien.
Storm-1516 : l’opération coordonnée par Moscou
Cette mécanique a été identifiée sous le nom de « Storm-1516 », un mode opératoire informationnel détaillé dans les rapports de VIGINUM, le service de vigilance contre les ingérences numériques. Depuis août 2023, 77 opérations ont été recensées, dont 35 visaient directement l’image de l’Ukraine et 42 dénigraient des responsables occidentaux.
En France, les périodes électorales sont particulièrement propices à ces attaques. Les législatives anticipées de juin 2024 ont été la cible d’une montée en puissance de la désinfo, avec des thèmes anxiogènes comme le terrorisme ou les migrations.
De faux sites, de vrais impacts
Les contenus de « Pravda » sont souvent relayés par des médias de blanchiment, implantés notamment en Afrique ou au Moyen-Orient. Ces relais, rémunérés selon VIGINUM, servent à donner une apparence de crédibilité avant que les contenus soient à nouveau amplifiés en Europe.
Certaines publications cumulent des millions de vues sur X, Facebook ou Reddit, profitant de partages involontaires, de reprises par des influenceurs ou de la viralité algorithmique. Ce matraquage de fausses infos brouille les repères, nourrit les théories du complot et affaiblit la cohésion sociale.
Des agents, des influenceurs et des visages recyclés
L’émission « La fabrique du mensonge » a révélé l’existence de « soldats de la désinfo » à visage humain : certains recrutés directement dans des pays prorusses, comme la Moldavie, seraient chargés de diffuser des contenus anxiogènes ou choquants.
Actions symboliques comme les cercueils devant la tour Eiffel, les mains rouges sur des monuments ou les étoiles de David peintes sur des murs parisiens participent à ce climat de tension. Leur origine présumée ? Des réseaux de manipulation coordonnés depuis l’étranger.
Une offensive contre la vérité, pas contre les idées
Ces campagnes ne cherchent pas à imposer une vision du monde cohérente. Leur objectif est d’affaiblir la vérité, de tout relativiser, de brouiller la frontière entre le vrai et le faux. En multipliant les versions d’un même événement, en exploitant les fractures sociales ou les scandales judiciaires, ces opérations veulent casser les repères.
La France est une cible stratégique : influente sur le plan diplomatique, engagée militairement, historiquement attachée à la liberté d’expression, mais également marquée par des tensions sociales et communautaires récurrentes. Autant de failles exploitables pour diviser et affaiblir.
Réagir, comprendre et se préparer
Face à cette menace, la réponse ne peut être uniquement technique. Il faut aussi renforcer l’éducation médiatique, donner les clés pour identifier les sources fiables, apprendre à croiser les informations, et garder un esprit critique face aux contenus spectaculaires ou émotionnels.
Le travail de veille de VIGINUM, la mobilisation des journalistes d’investigation, la vigilance des plateformes, et la responsabilité des influenceurs sont autant d’éléments indispensables à la défense de l’espace public.
Mais au final, c’est aussi chaque citoyen qui a un rôle à jouer. Car dans une guerre où l’arme principale est la confusion, la vérité devient un acte de résistance.