Une pratique plus répandue qu’on ne le croit
Si le mot est relativement récent — popularisé en 2017 par l’avocate américaine Alexandra Brodsky — la pratique, elle, est malheureusement courante. Les chiffres donnent le vertige : selon une étude australienne de 2019, une femme sur trois et un homme sur cinq (parmi ceux ayant des rapports homosexuels) auraient déjà été victimes de stealthing.
En France, le constat n’est guère plus rassurant. Une enquête du collectif Nous Toutes estimait qu’une femme sur dix y a été exposée. Plus inquiétant encore, une récente étude OpinionWay pour le Sidaction révèle une certaine tolérance masculine face à cet acte : plus d’un homme sur dix dit « comprendre » ce geste s’il estime qu’on lui a imposé le préservatif. Ce chiffre grimpe à 34 % chez les adeptes des théories masculinistes.
Pourquoi est-ce si grave ?
Au-delà de la trahison morale, le stealthing expose la victime à des risques physiques immédiats et durables. En retirant la protection sans prévenir, l’auteur impose à l’autre des risques non consentis :
- Transmission d’infections sexuellement transmissibles (IST), dont le VIH ;
- Risque de grossesse non désirée ;
- Traumatisme psychologique lié à la violation de l’intégrité corporelle.
Comme le souligne Enola, une victime témoignant dans Le Parisien : « Je n’ai jamais été d’accord pour un rapport non protégé. Pour moi, c’est un viol par surprise. »
La France en retard sur la législation ?
C’est ici que le bât blesse. Alors que nos voisins avancent, la France navigue encore dans un flou juridique. Il n’existe pas, à ce jour, d’article de loi citant spécifiquement le stealthing dans le Code pénal français.
Juridiquement, les avocats tentent de le qualifier de viol par surprise (article 222-23 du Code pénal). La logique est la suivante : si la victime avait su que le rapport serait non protégé, elle n’aurait pas consenti. Le consentement a donc été « surpris » par un stratagème.
La difficulté reste la preuve. La victime doit démontrer que le port du préservatif était une condition sine qua non de son accord, et prouver que le retrait a eu lieu à son insu. Une mission souvent impossible sans aveux ou échanges de messages a posteriori.
Ailleurs, la justice sévit
Pendant que la France cherche encore la bonne qualification pénale, d’autres pays ont tranché :
- Royaume-Uni : La justice a frappé fort en 2024 en condamnant un homme à plus de 4 ans de prison ferme pour viol, après avoir retiré son préservatif sans accord.
- Canada : La Cour suprême a reconnu en 2022 que cet acte constitue une agression sexuelle, validant que le consentement à l’acte sexuel est indissociable de ses modalités (avec ou sans protection).
- Californie : Depuis 2021, c’est un délit civil qui permet aux victimes de poursuivre l’auteur pour obtenir des dommages et intérêts.
- Suisse : La situation est complexe. Si le Tribunal fédéral reconnaît une atteinte à l’intégrité sexuelle, la qualification de « viol » ou de « contrainte » est parfois rejetée car la victime n’était pas techniquement « incapable de résistance ».








