Un record national de contamination détecté dans les campagnes
À première vue, ces villages n’ont rien d’industriel. Pourtant, c’est ici que la plus forte concentration de PFAS jamais mesurée en France a été relevée. Le record appartient à Villy, où l’eau du robinet affiche un taux de 2 729 ng/L. La limite réglementaire est pourtant fixée à 100 ng/L. Même les communes voisines, comme Haraucourt ou La Ferté-sur-Chiers, affichent des niveaux très préoccupants.
Les PFAS sont des composés chimiques utilisés depuis des décennies dans l’industrie pour fabriquer des produits comme les poêles antiadhésives, les textiles imperméables ou encore les cosmétiques. Leur particularité : ils sont extrêmement stables et ne se dégradent pas dans l’environnement. Une fois présents dans l’eau, les PFAS s’y maintiennent durablement, puis pénètrent dans les organismes humains où ils s’accumulent lentement.
Des communes sous le choc
Les maires ont découvert la situation avec stupéfaction.
« On est tombés de notre chaise »
Dans certaines localités, comme Malandry, les premiers signaux d’alerte remontaient à 2016. Mais aucun habitant n’avait été informé. Ce n’est qu’en 2024 qu’une enquête journalistique révèle l’étendue du désastre sanitaire.
Une origine probable : les boues papetières
Le principal suspect dans cette affaire : l’ancienne papeterie de Stenay, propriété du groupe Ahlstrom-Munksjö. Depuis les années 2000, l’usine bénéficiait d’autorisations pour l’épandage agricole de ses boues industrielles. Résultat : plus de 23 000 tonnes de résidus auraient été déversés dans les champs environnants, parfois à quelques mètres des captages d’eau potable.
Des analyses inquiétantes depuis des années
Des relevés réalisés en 2023 dans le château d’eau de La Ferté-sur-Chiers affichent un taux de 2 579 ng/L pour les 20 PFAS les plus préoccupants. Et l’été, la commune est alimentée par le captage contaminé de Villy, aggravant la situation.
Les communes les plus touchées
Les 17 communes concernées se répartissent en deux foyers distincts :
- Premier foyer (Ardennes) : Villy, Haraucourt, La Ferté-sur-Chiers, Margut, Osnes, Tétaigne, Fromy
- Deuxième foyer (Buzancy et ses alentours) : Buzancy, Sivry, Tailly, Beaufort-en-Argonne, Autrécourt-et-Pourron
- Meuse : Juvigny-sur-Loison, Louppy-sur-Loison, Létanne, Olizy-sur-Chiers
Une eau interdite à la consommation
Face à la gravité de la situation, la préfecture de la Meuse a interdit la consommation d’eau potable dans quatre communes. Un arrêté identique s’appliquera bientôt à douze communes des Ardennes. Les habitants ne peuvent plus boire l’eau, ni l’utiliser pour cuisiner ou préparer des biberons.
« On va payer l’eau 100 fois plus cher qu’avant », alerte le maire de Villy.
Un coût humain et financier colossal
La pollution a déjà un impact direct : les communes doivent acheter des bouteilles d’eau pour leurs habitants. Cela représente jusqu’à 60 000 euros par an. À Malandry, les travaux de dépollution pourraient coûter entre 500 000 et 900 000 euros. Les mairies se retrouvent contraintes d’emprunter, sans aides de l’État à ce jour.
Un scandale sanitaire qui dure depuis trop longtemps
Pour de nombreux élus, cette crise révèle un manque total de transparence. Les données existent depuis des années. Mais rien n’a été fait.
« On sait que la pollution date d’au moins 25 ans », affirme la maire de Malandry.
Le pire : même après l’arrêt de la consommation d’eau, les PFAS resteront dans les corps pendant plusieurs années.
Des effets graves sur la santé
Les scientifiques tirent la sonnette d’alarme. Les PFAS sont associés à des troubles du système immunitaire, à une baisse de fertilité, à une augmentation du cholestérol et à des risques de cancer. Selon un chercheur de Harvard :
« Ce sont les substances les plus toxiques jamais créées par l’homme. »
Un cadre réglementaire trop lent
La France ne sera obligée de surveiller les PFAS dans l’eau potable qu’à partir de 2026. Pourtant, le danger est documenté depuis longtemps. Une loi promulguée début 2025 inclura les PFAS dans les contrôles sanitaires, mais des milliers de molécules restent encore non surveillées aujourd’hui.
Et maintenant ?
Les habitants s’organisent, les élus interpellent l’État, mais les réponses tardent. Certaines communes envisagent de changer totalement de source d’approvisionnement, d’autres s’en remettent à des solutions temporaires. Une chose est sûre : cette affaire met en lumière une nouvelle fois la fragilité du modèle de surveillance de l’eau en France.