Une main-d’œuvre invisible à moins de 3 euros de l’heure
En France, près d’un détenu sur trois occupe un emploi en prison. Les missions sont souvent simples : collage de brochures, pliage de cartons, tri de documents. Si cela leur permet de s’occuper, la rémunération reste dérisoire. Les salaires vont de 2,38 € à 5,35 € brut de l’heure, selon la tâche confiée, soit entre 20 et 45 % du SMIC.
Les détenus acceptent malgré tout. En prison, la vie coûte cher : produits d’hygiène, alimentation, téléphone… Pour ceux sans soutien extérieur, ces quelques euros sont essentiels à leur survie.
Des marques de luxe aux constructeurs automobiles
Hermès, Bulgari, Moët & Chandon, Martell… Ces noms évoquent l’élégance et la qualité. Pourtant, certains emballages ou échantillons de ces marques sont préparés par des détenus. Les boîtes arrivent à plat, les prisonniers les assemblent, les collent, les conditionnent. Le tout sans formation ni protection sociale.
Du côté de l’industrie automobile, Renault, Citroën, Audi, Volkswagen ou Seat sous-traitent aussi à des établissements pénitentiaires. Les missions vont de l’emballage de tapis de sol à la mise en pochette de documents. Une photo captée dans un atelier pénitentiaire montre même des clés Renault collées sur des dépliants publicitaires par des détenus.
Quand les médias, la tech et les labos s’y mettent
TF1, Canal+, SFR, Crédit Agricole, HP, Novartis… La liste continue. Les grandes entreprises sont nombreuses à faire appel à l’administration pénitentiaire pour la gestion de campagnes marketing ou de documents. Des dépliants à trier, des coffrets à monter, des brochures à insérer dans des pochettes… Des tâches simples, externalisées discrètement.
Un détenu interrogé à ce sujet confie :
« Ce n’est pas bon pour leur image de dire qu’ils bossent avec nous. Mais ça leur coûte moins cher que d’embaucher à l’extérieur. »
La réforme de 2022 change-t-elle vraiment quelque chose ?
Officiellement, la réforme du Contrat d’Emploi Pénitentiaire visait à améliorer les droits des travailleurs détenus. Mais pour beaucoup, elle ne fait que légitimer un système déjà existant. Les conditions restent précaires, les rémunérations toujours très basses, et les postes peu qualifiants.
Un exemple : un détenu ayant travaillé 102 heures pour une grande entreprise a perçu 76,45 euros net. Cela revient à environ 1,33 euro de l’heure. Même avec la réforme, dans la majorité des cas, les détenus ne touchent pas plus de 2,50 euros.
Un sujet encore trop tabou
Pour les marques, parler de travail carcéral n’a rien d’avantageux. Employer des détenus, même légalement, est risqué pour l’image. Dans le luxe, c’est même contre-productif. Un client qui paie un parfum ou un accessoire plusieurs centaines d’euros ne veut pas savoir que l’emballage a été plié derrière les barreaux.
Un détenu résume le cynisme du système :
« Si on nous payait au SMIC, ils arrêteraient tous de bosser avec nous. »
Le travail en prison est présenté comme un outil de réinsertion. Dans les faits, il est surtout utilisé comme source de main-d’œuvre discrète, rentable, et sans droits classiques. Derrière les publicités lisses des grandes marques, la réalité est tout autre : celle d’une économie parallèle, nourrie par la précarité et l’enfermement.