La réforme du lycée professionnel, mise en œuvre progressivement à partir de 2023 sous l’impulsion de Carole Grandjean, ancienne ministre déléguée à l’enseignement professionnel, continue de susciter une vive opposition parmi les enseignants et les syndicats. À l’aube de la rentrée de septembre 2024, alors que les derniers éléments de cette réforme se mettent en place, de nombreuses inquiétudes persistent au sein de la communauté éducative.
Le parcours différencié : un dispositif controversé
L’un des principaux piliers de cette réforme est le parcours différencié pour les élèves en terminale professionnelle, également appelé « année Y ». Ce dispositif permet aux élèves de choisir entre deux options en fin d’année scolaire : un stage en entreprise s’ils souhaitent intégrer rapidement le marché du travail après leur diplôme, ou des cours intensifs s’ils prévoient de poursuivre leurs études, notamment en BTS.
Si cette flexibilité peut sembler être une aubaine pour les étudiants, les enseignants restent sceptiques. Selon Axel Benoist, co-secrétaire général du SNUEP-FSU, ce parcours différencié représente une forme de supercherie. Il souligne que les élèves ne sont pas obligés de suivre un parcours en accord avec leur projet d’études. Par exemple, un élève souhaitant poursuivre ses études en BTS pourrait décider d’effectuer un stage en entreprise pendant six semaines, au lieu de se préparer aux examens. Cela crée un décalage entre les aspirations des élèves et les compétences qu’ils acquièrent pendant cette période.
Cette situation pourrait également conduire à des incohérences. Un élève en bac pro automobile pourrait choisir de faire un stage dans un secteur complètement déconnecté de sa formation, comme la restauration ou le commerce, ce qui n’aiderait pas à consolider ses compétences professionnelles.
Moins de temps pour préparer les élèves
En plus du parcours différencié, la réforme a réduit le nombre d’heures de cours dispensées aux élèves de terminale, ce qui aggrave les inquiétudes. « Il y a 100 heures de cours en moins cette année par rapport à l’année dernière, » déclare Axel Benoist. Cette diminution du temps d’enseignement pèse lourdement sur la préparation des élèves au bac pro, d’autant plus que certaines matières, comme les mathématiques et le français, nécessitent une attention particulière.
Les enseignants craignent que cette réduction des heures de cours ne compromette la réussite des élèves, notamment ceux en difficulté. L’absentéisme pourrait également augmenter, car les élèves risquent de ne plus trouver un intérêt à rester en classe après avoir complété leurs examens anticipés.
Un calendrier d’examen chamboulé
Le calendrier des épreuves est un autre point de tension dans cette réforme. Les examens généraux, tels que le français et les mathématiques, ont désormais lieu à la mi-mai, tandis que certaines épreuves spécifiques, comme la prévention-santé-environnement, sont repoussées à fin juin. Cette organisation, bien que pensée pour alléger la charge des élèves, inquiète les enseignants qui redoutent une répétition du phénomène observé en 2023 dans les lycées généraux et technologiques, où l’absentéisme avait explosé après les épreuves anticipées du mois de mars.
Des stages en entreprise, oui, mais avec des gratifications en suspens
Un autre point central de la réforme est la rémunération des élèves durant leurs périodes de formation en milieu professionnel (PFMP). Les élèves de CAP et de bac pro sont censés recevoir une gratification progressive, allant de 50 euros par semaine en première année à 100 euros en troisième année. Cependant, des retards dans le versement de ces gratifications ont été signalés, suscitant frustration et mécontentement parmi les élèves et leurs familles.
Sur les réseaux sociaux, de nombreux lycéens ont exprimé leur mécontentement face à des paiements tardifs, certains ayant attendu jusqu’à quatre mois pour recevoir leur dû. Un enseignant de mathématiques confie que, dans ses classes, plusieurs élèves ont dû patienter plusieurs mois avant d’être rémunérés pour leurs stages. Cette situation compromet non seulement leur confiance dans le système, mais aussi leur capacité à planifier financièrement leur année scolaire.
Des groupes de niveaux en français et en mathématiques
La réforme introduit également des groupes de niveaux en français et en mathématiques pour les classes de seconde et de première. Cette mesure vise à renforcer les compétences des élèves dans ces matières fondamentales. Cependant, la mise en place de ces groupes reste inégale d’un établissement à l’autre. Certains lycées ont déployé ces dispositifs, tandis que d’autres n’ont pas encore réussi à les intégrer dans leur organisation. Les enseignants craignent que ces groupes de niveaux ne stigmatisent les élèves en difficulté, tout en perturbant la cohésion des classes.
Réactions mitigées face à la réforme
Si certains élèves, comme Evan, 17 ans, en terminale pro spécialité cuisine, se disent satisfaits de certains aspects de la réforme, notamment la possibilité de passer plus de temps en entreprise, d’autres, ainsi que leurs enseignants, soulignent les limites de cette réforme. Evan souligne qu’il manque un professeur de mathématiques dans son établissement depuis le début de l’année, ce qui le pousse à privilégier le stage en entreprise plutôt que les cours intensifs.
Le gouvernement, pour sa part, semble rester convaincu des bienfaits de cette réforme. Alexandre Portier, ministre délégué à la réussite scolaire et à l’enseignement professionnel, a salué les initiatives visant à renforcer le lien entre l’école et l’entreprise. Il a également mis en avant la création de bureaux des entreprises dans les établissements, destinés à faciliter les partenariats entre les jeunes et les acteurs économiques.
Cependant, pour de nombreux enseignants et syndicats, la réforme du lycée professionnel nécessite encore des ajustements pour véritablement répondre aux attentes des élèves et du marché du travail.