Dis-moi qui tu aimes, je te dirai si je t’embauche ?
L’affaire a éclaté grâce aux révélations du Canard Enchaîné le 24 décembre dernier. Sur le portail de recrutement de la banque (socgen.taleo.net), dédié aux postes à l’international, les candidats sont invités à remplir un formulaire pour le moins intrusif dans l’onglet « Informations personnelles ».
Si ces questions sont présentées comme facultatives, leur présence même interroge. Concrètement, la banque demande aux candidats de préciser leur genre (homme, femme, non-binaire), mais ne s’arrête pas là. On y trouve :
- Une question directe : « Vous identifiez-vous comme membre de la communauté LGBTQ + ? » (Oui / Non / Je ne sais pas).
- Une demande de précision sur l’appartenance ethnique avec un choix de « couleurs » et zones géographiques : « Européen », « Moyen-Orient/arabe », « Asiatique de l’Est », « Noir ou Africain-Américain », « Blanc », etc.
- Un champ sur l’engagement politique, allant jusqu’à demander le nom de l’organisation et le rôle occupé.
Pour l’avocat des associations plaignantes, Me Étienne Deshoulières, le problème est simple : un candidat peut légitimement craindre que son refus de répondre ne pénalise sa candidature. En France, le RGPD et le Code du travail sont clairs : on ne demande que ce qui est strictement nécessaire pour évaluer les compétences professionnelles.
Le lanceur d’alerte licencié « à la hussarde »
Derrière cette procédure judiciaire portée par les associations Mousse et Stop Homophobie, il y a une histoire humaine brutale. Tout part d’un cadre de la banque, basé près de Lyon. En janvier 2025, il découvre ces formulaires et signale le contenu qu’il juge « illégal et discriminant » à sa direction des ressources humaines.
La réponse de l’entreprise n’a pas été celle d’une remise en question. Selon les informations relayées par la presse, la carrière de ce cadre a basculé après son signalement. Promu peu de temps avant, il a été muté soudainement, suspendu, puis convoqué à un entretien préalable au licenciement. L’été dernier, il a été vidé de l’entreprise devant ses collègues, son matériel confisqué sur le champ.
La défense de la banque face à la réalité des chiffres
Contactée, la Société Générale joue la carte de la bonne foi. L’argument ? La diversité est une force. La banque assure que ces données sont anonymisées et ne sont jamais consultables par les recruteurs ou les managers. Elle précise respecter les « réglementations locales », ces questionnaires concernant des postes à l’international.
Pourtant, le contexte est lourd. En septembre dernier, la même banque a été condamnée par la cour d’appel de Paris pour discrimination raciale et sexiste envers une ex-salariée. De plus, la collecte de données ethniques ou sur l’orientation sexuelle reste un terrain miné.
Pourquoi ces questions inquiètent-elles autant ? Parce que la discrimination à l’embauche est une réalité statistique massive, et non un ressenti. Le 18e baromètre du Défenseur des droits et de l’Organisation internationale du travail (OIT), publié le 10 décembre 2025, livre des chiffres sans appel :
- Plus de 50 % des candidats racisés (notamment noirs, arabes ou maghrébins) rapportent avoir été discriminés lors de leurs candidatures.
- Les personnes portant un signe religieux sont 1,5 fois plus exposées au rejet que les autres.
- Les candidats issus de la communauté LGBTQIA+ ont 1,9 fois plus de risques d’être discriminés que les hétérosexuels.
Dans ce climat, voir une grande entreprise française collecter ce type d’informations, même sous couvert de statistiques de diversité, passe mal auprès des associations de défense des droits.
Une plainte pour faire le ménage
La plainte contre X déposée auprès du procureur de la République de Paris vise à faire toute la lumière sur l’utilisation réelle de ces données. Les associations exigent de la transparence : qui a accès aux réponses ? Combien de temps sont-elles conservées ? Et surtout, quelle est leur véritable finalité ?
« En matière de recrutement, la collecte d’informations doit être strictement nécessaire et présenter un lien direct avec l’emploi proposé. » — Me Étienne Deshoulières.
Alors que la Société Générale clame « C’est vous l’avenir », cette affaire renvoie une image du passé où la vie privée n’était pas une barrière infranchissable pour les employeurs.








