Étudier en école d’ingénieurs va-t-il devenir un luxe ?

Longtemps symbole d’excellence accessible, les écoles d’ingénieurs publiques françaises s’apprêtent à franchir un tournant historique. Après des décennies de frais de scolarité plafonnés à environ 600 euros par an, plusieurs établissements envisagent désormais de les multiplier par deux, trois, voire davantage dès la rentrée 2026. Une révolution silencieuse qui interroge : l’ingénierie française va-t-elle rester un modèle ouvert à tous, ou glisser vers un système à deux vitesses ?
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Des frais encore bas… mais plus pour longtemps

En 2025, étudier en école d’ingénieurs publique coûte en moyenne 601 euros par an, selon l’arrêté national fixant les droits d’inscription. Un montant stable depuis vingt ans : en 2005, les étudiants payaient 473 euros, soit une hausse de seulement 27 % en deux décennies. Mais ce modèle, largement financé par l’État, montre aujourd’hui ses limites.

Les établissements, confrontés à l’inflation et à la hausse des coûts de fonctionnement, peinent à équilibrer leurs budgets. D’après la Conférence des directeurs des écoles françaises d’ingénieurs (CDEFI), près d’une école sur deux serait désormais en déficit. La question du financement devient donc urgente.

La “jurisprudence CentraleSupélec” qui change tout

Le 18 juin 2025, l’école CentraleSupélec a provoqué un séisme dans le paysage de l’enseignement supérieur. Son conseil d’administration a validé des frais de scolarité modulés entre 2 500 et 5 000 euros dès 2026, sans intervention du ministère. Ce précédent, qualifié de « jurisprudence » par plusieurs directeurs, a ouvert la voie à d’autres écoles publiques.

« La jurisprudence CentraleSupélec est énorme. Elle montre que toutes les écoles peuvent augmenter leurs frais sans contrainte », explique Cyprien Plane, président du Bureau national des élèves ingénieurs (BNEI).

Dans la foulée, des établissements comme Centrale Nantes, l’UTC ou encore l’ENSI Caen ont engagé des discussions internes pour instaurer des frais modulés à la rentrée 2026 ou 2027. Le principe : faire varier le montant selon les revenus familiaux, à l’image du modèle de Sciences Po.

Pourquoi les écoles veulent faire payer plus cher

Les directions d’écoles d’ingénieurs avancent plusieurs arguments : la stagnation des dotations publiques, la nécessité d’investir dans les équipements de recherche, et l’envie de renforcer la qualité pédagogique. Pour certaines, faire contribuer davantage les étudiants permettrait d’éviter un appauvrissement du modèle public.

« L’idée n’est pas de faire payer tout le coût de la formation aux familles, mais de trouver un équilibre pour maintenir notre mission de service public », défend Carole Deumié, vice-présidente de la CDEFI et directrice de Centrale Marseille.

À ce jour, les frais de scolarité ne couvrent qu’environ 2 % à 17 % du budget des écoles. Le reste provient des subventions de l’État et de la recherche. Or, le coût réel d’une formation d’ingénieur est estimé à 12 000 euros par an.

Comparatif des frais de scolarité en école d’ingénieurs (estimation 2025–2026)

ÉtablissementFrais actuels (2025)Frais envisagés (2026)Type d’école
INSA Lyon601 €~1 200 € (à confirmer)Publique
CentraleSupélec3 660 €2 500 à 5 000 €Publique
UTT (Troyes)601 €+1 500 € modulésPublique
Mines Paris-PSL4 150 €5 000 € (projection)Publique

Un modèle qui se privatise peu à peu

Cette évolution inquiète les étudiants. Pour eux, le risque est clair : une formation d’ingénieur élitiste, réservée à ceux qui peuvent payer. Les chiffres renforcent cette crainte : selon le BNEI, 53 % des élèves ingénieurs viennent déjà de familles CSP+, cadres ou professions libérales. Une hausse des frais pourrait accentuer ce déséquilibre social.

« Les écoles publiques se tirent une balle dans le pied. Si elles s’alignent sur les écoles privées, elles perdront leur attractivité », prévient Cyprien Plane.

Certains redoutent aussi que cette ouverture financière serve de prétexte à un désengagement de l’État. Moins de subventions, plus de frais : le glissement vers un modèle semi-privé semble amorcé, même si les écoles assurent vouloir préserver la mixité sociale.

Les conséquences possibles pour les futurs étudiants

Si les augmentations se confirment dès 2026, les effets pourraient être rapides :

  • Une hausse du coût global des études d’ingénieur, y compris dans le public.
  • Un repli vers les universités ou les écoles moins cotées, jugées plus abordables.
  • Une sélection sociale accrue si les bourses et aides n’évoluent pas au même rythme.
  • Une possible fuite des talents à l’étranger vers des pays où les études d’ingénieur restent gratuites ou peu coûteuses (Allemagne, Canada, pays nordiques).

Les syndicats étudiants demandent donc un cadrage national pour éviter les dérives. Sans cela, chaque école pourrait fixer librement ses tarifs, créant de fortes inégalités selon les territoires et les familles.

Et maintenant ?

Le ministère de l’Enseignement supérieur reste pour l’instant silencieux, préférant parler de « concertation en cours ». Mais les décisions se multiplient dans les conseils d’administration des écoles. Si rien ne change d’ici l’été 2026, la rentrée 2026–2027 pourrait marquer la fin d’une époque : celle où l’excellence scientifique française se voulait vraiment accessible à tous.

Entre besoins budgétaires et justice sociale, la bataille des écoles d’ingénieurs ne fait que commencer. Et derrière cette question de frais, c’est toute la définition du service public de l’enseignement supérieur qui se retrouve sur la table.

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