Ce que signifie vraiment « perpétuité incompressible »
Dans le droit français, la réclusion criminelle à perpétuité peut, pour certains crimes, être assortie d’une période de sûreté qui rend tout aménagement de peine impossible pendant un long laps de temps. Quand cette sûreté couvre 30 ans et interdit tout aménagement durant cette période, on parle de perpétuité incompressible (souvent appelée, à tort, « perpétuité réelle »).
Cette peine a été instaurée en 1994, dans un périmètre d’abord restreint (notamment le meurtre d’un mineur de moins de 15 ans précédé de viol, de torture ou d’actes de barbarie), puis étendu à d’autres cas graves comme certains assassinats de dépositaires de l’autorité publique et, depuis 2016, des crimes terroristes.
Concrètement : pendant au moins 30 ans, le condamné ne peut ni demander de libération conditionnelle, ni bénéficier d’un aménagement. À l’issue de ces 30 ans, il peut seulement solliciter un relèvement de la sûreté — ce qui ne signifie pas une sortie automatique.
Au bout de ces 30 ans, une demande de relèvement passe par un filtre judiciaire strict, fondé sur l’évaluation de la dangerosité, les gages sérieux de réadaptation sociale et, pour le terrorisme, un avis spécifique d’une commission de magistrats. Autrement dit, l’« espoir » demeure théorique, et il est extrêmement rare qu’un tel relèvement aboutisse.
Les crimes qui exposent à la peine la plus lourde
Meurtres d’enfants avec viol, torture ou barbarie
Le cœur historique de la perpétuité incompressible : les crimes commis contre des mineurs de moins de 15 ans lorsqu’ils sont précédés ou accompagnés d’actes de très grande cruauté. La justice considère que le niveau de violence et de dangerosité justifie l’écartement durable du condamné de la société.
Assassinats de dépositaires de l’autorité publique
Certains assassinats visant des policiers, gendarmes, magistrats, surveillants pénitentiaires et autres dépositaires de l’autorité publique peuvent aussi conduire à cette peine, quand les circonstances l’exigent.
Terrorisme
Depuis 2016, des crimes terroristes entrent dans le champ de la perpétuité incompressible. Les conditions de relèvement de la sûreté y sont encore plus strictes, avec une procédure renforcée et cumulative.
Panorama des principaux condamnés
Il n’existe pas de registre public consolidé en temps réel. Les chiffres avancés varient selon les périodes et les affaires (les médias évoquent « une douzaine » de cas environ). Le tableau ci-dessous récapitule des noms souvent cités par la presse judiciaire pour illustrer cette peine. Attention : certaines personnes ont été condamnées par défaut (absentes, parfois présumées mortes), ce que nous précisons.
| Nom | Catégorie de crime | Année de condamnation | Statut | Relèvement possible après 30 ans ? |
|---|---|---|---|---|
| Pierre Bodein (« Pierrot le Fou ») | Meurtres et viols sur mineures | 2007 (confirmé 2008) | Détenu | Théoriquement oui, sous conditions |
| Michel Fourniret | Série de meurtres sur jeunes filles | 2008 | Décédé en détention (2021) | — |
| Nicolas Blondiau | Viol et meurtre d’une fillette | 2013 (confirmé 2015) | Détenu | Théoriquement oui, sous conditions |
| Yannick Luende Bothelo | Assassinat et viol d’une adolescente | 2016 | Détenu | Théoriquement oui, sous conditions |
| Salah Abdeslam | Terrorisme (attentats du 13-Nov.) | 2022 | Détenu | Théoriquement oui, procédure renforcée |
| Oussama Attar* | Terrorisme (13-Nov.) | 2022 | Condamné par défaut (présumé mort) | — |
| Jean-Michel Clain* | Terrorisme | 2022 | Condamné par défaut (présumé mort) | — |
| Fabien « Omar » Clain * | Terrorisme | 2022 | Condamné par défaut (présumé mort) | — |
| Ahmad Alkhald * | Terrorisme | 2022 | Condamné par défaut | — |
| Obeida Aref Dibo * | Terrorisme | 2022 | Condamné par défaut | — |
| Brahim Aouissaoui | Terrorisme (Nice, 2020) | 2025 | Détenu (appel en cours) | Théoriquement oui, procédure renforcée |
| Michaël Chiolo | Terrorisme (attaque à Condé-sur-Sarthe) | 2025 | Détenu (appel en cours) | Théoriquement oui, procédure renforcée |
| Dahbia Benkired | Meurtre, viol, actes de barbarie sur mineure | 2025 | Détenue | Théoriquement oui, sous conditions |
* Condamnés par défaut : jugés en leur absence, certains étant présumés morts. La peine est alors essentiellement symbolique et déclarative.
Pourquoi ces dossiers sont exceptionnellement rares
Un seuil de gravité hors norme
La perpétuité incompressible ne vise pas à « punir plus » par principe, mais à protéger durablement la société dans des situations où la dangerosité et l’extrême gravité des faits rendent toute réinsertion hautement improbable à moyen terme. C’est le message envoyé par la cour d’assises quand elle motive ce choix exceptionnel.
Un contrôle juridictionnel serré
Au terme des 30 ans, la demande de relèvement passe par des expertises pluridisciplinaires et un examen juridictionnel minutieux. En matière de terrorisme, la procédure ajoute un avis d’une commission de magistrats de la Cour de cassation et la prise en compte du risque de trouble grave à l’ordre public. Dans la pratique, ces barrières rendent une sortie hautement improbable.
Questions que vous vous posez (sans tourner autour du pot)
Un condamné à la perpétuité incompressible peut-il sortir un jour ?
Juridiquement, une perspective très conditionnelle existe au bout de 30 ans : le condamné peut demander le relèvement de la sûreté. Dans les faits, les conditions sont si strictes que cette issue est extrêmement rare, et elle ne signifie pas sortie immédiate. Si le relèvement est accordé, le condamné doit ensuite obtenir un aménagement (encore un filtre), souvent assorti de mesures de contrôle potentiellement illimitées dans le temps.
Pourquoi parler de « peine la plus lourde » ?
Car depuis l’abolition de la peine de mort en 1981, il n’existe rien de plus sévère que la perpétuité incompressible. Elle neutralise toute ouverture de porte pendant 30 ans et place la barre d’un éventuel réexamen à un niveau particulièrement élevé.
Ce qu’il faut retenir
- La perpétuité incompressible est une peine rare, réservée à des crimes d’exception (meurtres d’enfants avec viol/torture, assassinats de dépositaires de l’autorité, terrorisme).
- Pendant 30 ans, aucun aménagement n’est possible. Après, un relèvement de la sûreté peut être demandé, sous conditions draconiennes.
- En France, on ne compte qu’une petite douzaine de dossiers ayant abouti à cette peine depuis 1994, dont des noms tristement connus (Bodein, Fourniret, Abdeslam, Aouissaoui, Benkired).








