Un roman qui dérange
Houris est un livre dur, viscéral, qui plonge dans les horreurs de la décennie noire, cette guerre civile algérienne des années 90 marquée par le terrorisme islamiste. L’œuvre donne la parole à une survivante, Aube, enfant mutilée, silencieuse, qui traverse les souvenirs et les cicatrices de cette période. Pour Daoud, c’est un devoir de mémoire. Pour le régime algérien, c’est une menace directe à sa narration officielle.
Le livre est interdit à la vente en Algérie. Mais ce n’est pas tout. Une femme, Saâda Arbane, dit reconnaître son histoire personnelle dans le personnage d’Aube. Elle affirme que Kamel Daoud et sa compagne auraient tenté à plusieurs reprises d’obtenir son autorisation, ce qu’elle aurait refusé. Elle a engagé deux procédures : une en Algérie pour violation du secret médical, et une autre en France pour atteinte à la vie privée et diffamation.
De son côté, Daoud rejette totalement ces accusations. Il rappelle que son livre s’appuie sur une multitude de témoignages, recueillis dans le cadre d’un travail d’enquête. Aucun nom, aucune date précise, aucun élément personnel identifiable ne permettrait selon lui d’associer son personnage à une personne réelle.
Une répression politique déguisée
Pour son avocate, Jacqueline Laffont, il ne s’agit clairement pas d’un simple conflit littéraire. Elle dénonce une opération à visée purement politique. Selon elle, les autorités algériennes utilisent la justice pour réduire au silence une voix dissidente. En demandant à Interpol de relayer les mandats, elles montrent qu’elles veulent criminaliser la littérature lorsque celle-ci dérange l’image du pays.
Kamel Daoud n’est pas le seul à être pris pour cible. Boualem Sansal, autre écrivain algérien connu pour ses critiques du régime, subit lui aussi des pressions. Tous deux ont choisi de parler, d’écrire, de ne pas oublier. Ils rappellent que la mémoire des victimes ne doit pas être effacée, même quand elle gêne.
La fiction comme acte de résistance
Dans ses interventions publiques, Kamel Daoud insiste : la littérature est un espace de liberté. Il revendique le droit de créer, de puiser dans la réalité sans pour autant la trahir. Pour lui, Houris est une œuvre de fiction nourrie par la souffrance collective, pas un récit autobiographique déguisé.
Il dénonce une tentative de détourner le débat vers une affaire personnelle, alors que son livre vise avant tout à interroger un passé traumatique et ses effets durables. Ce glissement du politique au judiciaire illustre une dérive plus large : celle d’un pouvoir incapable d’assumer ses zones d’ombre.
Un écrivain face à l’intimidation
La situation est grave. Kamel Daoud est désormais menacé d’arrestation à l’étranger, en vertu de mandats que son équipe conteste activement devant la commission de contrôle d’Interpol. Il pourrait être freiné dans ses déplacements, voire contraint à restreindre ses apparitions publiques, alors même que son roman connaît un immense succès en librairie.
Ce qui se joue aujourd’hui dépasse le cas Daoud. C’est une alerte sur la manière dont certains États répriment les artistes, les empêchant d’évoquer les traumatismes de l’histoire. À travers cette affaire, une question brûlante est posée : peut-on encore écrire librement sur la violence, la guerre, le réel, sans craindre la justice ou la censure ?
Pour Kamel Daoud, la réponse est claire. Il continuera d’écrire. Et tant pis si cela coûte cher.