L’Abbé Pierre, 17 nouvelles accusations de violences sexuelles

Dix-sept nouveaux témoignages viennent bouleverser l’image de l’Abbé Pierre, figure emblématique de la solidarité en France. Un rapport du cabinet Egaé révèle de multiples violences sexuelles présumées s’étendant sur plus de cinquante ans. Ces révélations jettent une ombre sur celui qui incarnait la lutte contre la pauvreté et le mal-logement.
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Des témoignages bouleversants et concordants

Les nouveaux éléments recensés dans le rapport évoquent plusieurs formes d’abus sexuels : baisers forcés, attouchements non consentis sur des femmes, mais aussi violences sexuelles sur mineures. Les faits auraient eu lieu dans différents pays, dont la France, le Maroc, la Suisse et les États-Unis. Les témoignages pointent des comportements répétés et systématiques, souvent envers des personnes vulnérables, notamment des femmes précaires ou des enfants.

Selon le rapport, certains épisodes remontent aux années 1950, d’autres aux années 2000. Dans un cas particulièrement marquant, une victime affirme avoir subi des attouchements dès son plus jeune âge. D’autres témoignages décrivent un homme usant de son charisme et de son statut religieux pour imposer un rapport de domination.

« Il avait cette autorité morale qui paralysait toute réaction. On n’osait pas parler, parce que c’était l’Abbé Pierre », confie une ancienne bénévole d’Emmaüs citée dans le rapport.

Le cabinet Egaé, spécialisé dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, précise que la majorité des témoignages proviennent de proches collaborateurs, de membres de familles accueillies par Emmaüs, ou encore de femmes croisées lors d’événements caritatifs.

Une icône de la charité désormais contestée

Longtemps perçu comme une figure quasi sacrée de la solidarité française, l’Abbé Pierre, décédé en 2007, voit aujourd’hui son héritage profondément remis en question. Son nom, autrefois symbole de bonté et d’engagement social, est désormais associé à des accusations de prédation sexuelle. Pour beaucoup, ces révélations représentent un choc moral, tant il incarnait la compassion et l’humanité.

Face à la gravité des accusations, la Fondation Abbé Pierre a annoncé une série de mesures fortes. Elle envisage de changer de nom afin de ne plus être identifiée au prêtre accusé. Le lieu de mémoire d’Esteville (Seine-Maritime), où repose l’Abbé Pierre, va également fermer définitivement. Ce site, autrefois lieu de recueillement et de visite, ne correspond plus, selon la Fondation, aux valeurs qu’elle souhaite défendre aujourd’hui.

Les organisations réagissent : écoute, enquête et refonte

À la suite de la publication du rapport, Emmaüs et la Fondation Abbé Pierre ont mis en place un dispositif d’écoute anonyme destiné aux victimes potentielles. Ce dispositif a déjà recueilli près de 50 courriels et 20 appels téléphoniques, preuve de l’ampleur du phénomène.

Parallèlement, une commission indépendante a été créée. Sa mission : comprendre les défaillances institutionnelles qui auraient permis à l’Abbé Pierre d’échapper à toute sanction pendant plus d’un demi-siècle. Elle devra aussi proposer des recommandations pour protéger les bénévoles et bénéficiaires à l’avenir.

Les dirigeants d’Emmaüs ont affirmé leur volonté de “faire toute la lumière sur les faits” et de “réparer la confiance des victimes et du public”. Cette démarche s’inscrit dans un mouvement plus large de remise en question au sein des institutions religieuses et caritatives, confrontées à des révélations de violences sexuelles de figures autrefois respectées.

Réactions de l’Église et du public

Du côté de l’Église catholique, la réaction a été immédiate. La Conférence des Évêques de France s’est dite “atterrée et honteuse” face à ces accusations. Elle promet une coopération totale avec les investigations et rappelle que les faits, même anciens, “ne peuvent être minimisés ni effacés”.

Dans la société, les réactions sont contrastées. Certains dénoncent une “chasse aux icônes”, tandis que d’autres y voient une étape nécessaire pour reconnaître les abus cachés derrière les figures d’autorité. Des débats ont aussi émergé autour des nombreux établissements scolaires, rues ou espaces publics portant encore le nom de l’Abbé Pierre. À Alfortville, la municipalité a déjà décidé de rebaptiser un square en hommage à Joséphine Baker.

Une mémoire à reconstruire

Ces révélations plongent les structures issues du mouvement de l’Abbé Pierre dans une profonde introspection. Comment continuer à incarner la solidarité tout en assumant un passé désormais entaché ? Les dirigeants d’Emmaüs affirment vouloir “conserver la mission, pas le mythe”. L’objectif : redonner un sens éthique à leur engagement en faveur des plus démunis, sans se référer à une figure dont les actions sont aujourd’hui mises en cause.

La fermeture du lieu de mémoire, la refonte de la fondation et la création d’une commission d’enquête marquent un tournant historique. Ces mesures illustrent la volonté de séparer l’œuvre du fondateur de la personne. Un travail complexe, mais essentiel, pour reconstruire une légitimité morale durable.

Pour une génération qui n’a connu l’Abbé Pierre qu’à travers les manuels ou les vidéos d’archives, cette affaire rappelle que même les figures les plus admirées peuvent dissimuler des zones d’ombre. Et que le combat contre la précarité ne doit jamais faire oublier celui contre les violences sexuelles et le silence.

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