Un cadre général présenté comme une réponse à la crise agricole
Officiellement, la loi vise à lever les contraintes pesant sur le métier d’agriculteur. Portée par les sénateurs Laurent Duplomb (Les Républicains) et Franck Menonville (UDI), elle a été soutenue par la FNSEA, de grands syndicats agricoles et plusieurs groupes parlementaires de droite. Le texte s’inscrit dans une période de tension forte entre le monde agricole et l’État, dans un contexte de mobilisations paysannes et de pression sur les revenus agricoles.
Adoptée en pleine période estivale, la loi a été votée par 316 députés contre 223. Le débat s’est accéléré avec un passage en commission mixte paritaire, puis une validation express par l’Assemblée nationale et le Sénat. Le Conseil constitutionnel a été saisi par des députés de gauche, mais la loi suit toujours son chemin vers la promulgation.
Le grand retour des néonicotinoïdes
La mesure la plus symbolique concerne la réintroduction possible de l’acétamipride, un insecticide de la famille des néonicotinoïdes interdit en France depuis 2020. Très nocif pour les abeilles et soupçonné d’effets neurologiques, ce pesticide reste pourtant autorisé au niveau européen.
« Voter la loi Duplomb, c’est voter pour le cancer. » – témoignage de Fleur Breteau, militante atteinte d’un cancer du sang.
La loi permet son retour par simple décret en cas de “menace grave”, une expression vague qui inquiète. Pire encore : aucune durée limite n’est fixée, ce qui ouvre la voie à un usage continu sans réelle évaluation.
Selon l’Anses, des solutions alternatives efficaces existent déjà. Mais elles ne sont pas jugées “suffisamment opérationnelles” par les filières concernées, notamment celle de la betterave sucrière.
Les mégabassines promues comme intérêt général
Autre sujet explosif : les mégabassines sont désormais considérées comme un projet d’intérêt public majeur. Cette qualification permet leur construction dans des zones protégées, même au détriment d’espèces menacées.
Pour les associations environnementales, cela représente un passage en force. Seulement 1 % des agriculteurs irrigants bénéficieront de ces infrastructures, destinées majoritairement à des productions exportées, comme le maïs ou les céréales.
« On a créé une élite dans l’élite » – Marie Bomare, juriste pour Nature Environnement 17
Allègement des règles pour les élevages industriels
La loi modifie en profondeur le régime des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE). Désormais, les seuils à partir desquels un élevage doit faire l’objet d’une étude d’impact sont relevés :
Type d’élevage | Ancien seuil | Nouveau seuil |
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Volailles | 40 000 | 85 000 |
Porcs (à l’engraissement) | 2 000 | 3 000 |
Truies (reproduction) | 750 | 900 |
Moins de contrôles = plus de risques pour les sols, l’eau, l’air, et la santé humaine selon la Fondation pour la nature et l’homme. Les fermes les plus polluantes se retrouveront en situation d’impunité quasi totale.
Des contrôles environnementaux sous influence
L’article 6 change profondément le rôle de la police de l’environnement. L’Office français de la biodiversité (OFB), auparavant sous l’autorité des ministères, est désormais placé sous la direction des préfets et procureurs. Cela signifie que des intérêts locaux ou politiques pourront directement bloquer des contrôles.
« Ce n’est plus une police indépendante, c’est une police contrôlée » – Sylvain Michel, technicien à l’OFB
Dans les faits, cela pourrait signifier la fin des inspections dans les secteurs les plus sensibles : agriculture intensive, BTP, industries extractives. Des préfets proches de certains lobbies agricoles pourraient neutraliser les agents de terrain.
L’Anses sauvée de justesse
La proposition initiale du texte incluait une mise sous tutelle partielle de l’Anses (Agence nationale de sécurité sanitaire). Finalement, grâce à la mobilisation des ONG et d’une partie de la majorité, cette mesure a été retirée.
Cependant, le texte conserve un Comité des solutions réunissant les filières agricoles. Ce comité peut toujours faire pression sur les décisions de retrait de molécules toxiques.
Un choix politique assumé… mais critiqué
Pour Laurent Duplomb, la loi vise à rétablir une équité européenne en alignant la France sur les standards moins stricts des autres pays de l’UE. Il affirme que ne pas produire en France revient à importer des produits encore moins respectueux de l’environnement.
Mais pour de nombreux scientifiques, médecins, agriculteurs en transition et citoyens engagés, cette loi est un signal d’alerte. Elle consacre un modèle ultra-productiviste, toxique pour les sols et la biodiversité, et marginalise les alternatives plus durables.
« Cette loi est une diversion. Elle prétend aider les agriculteurs mais sert les intérêts de l’agro-industrie. » – Thomas Uthayakumar, Fondation pour la nature et l’homme
Des mobilisations massives
Depuis l’adoption du texte, les réactions citoyennes ne faiblissent pas. Une pétition contre la loi a dépassé 1,7 million de signatures. Le Conseil constitutionnel a été saisi. Le texte pourrait encore être retoqué, mais en attendant, il cristallise toutes les tensions entre compétitivité agricole et urgence écologique.