Quand une manette devient un joystick de guerre

À l’origine conçues pour s’amuser sur une PlayStation ou une Xbox, les manettes de jeux vidéo sont désormais utilisées à des fins bien plus sombres. Le Royaume-Uni a décidé, le 24 avril 2025, d’interdire l’exportation de ces périphériques vers la Russie, dénonçant leur usage détourné pour piloter des drones militaires dans le conflit contre l’Ukraine.
Playstation manette drone russe

Ce n’est pas un fantasme. Des rapports venus de Kiev indiquent que certaines manettes DualSense ont servi à tester le guidage de drones terrestres. Un usage loin de celui imaginé par Sony. L’Union européenne avait déjà pris des mesures similaires en février, en les classant parmi les biens à double usage.

Des sanctions ciblées mais symboliques

Cette interdiction fait partie d’un nouveau paquet de plus de 150 sanctions commerciales décidées par Londres. Ces mesures visent à affaiblir l’industrie militaire et énergétique russe. Parmi elles : l’interdiction d’exporter des métaux, composants électroniques, logiciels industriels et maintenant, des manettes de consoles.

Le but est clair : empêcher la Russie d’utiliser des technologies civiles à des fins militaires. Les manettes ne sont pas l’élément central de la guerre, mais leur accessibilité et leur efficacité en font un outil de pilotage bon marché pour les opérateurs de drones, souvent dans des zones reculées ou improvisées.

Depuis 2022, les drones kamikazes, d’observation ou de reconnaissance sont devenus une composante essentielle des attaques russes. Moins coûteux que des missiles, faciles à déployer, et de plus en plus pilotés à distance via des interfaces simplifiées, ils posent un vrai casse-tête tactique à l’Ukraine. C’est dans ce contexte que les manettes trouvent leur place : elles permettent un contrôle fluide, intuitif, sans nécessiter un long apprentissage.

Des produits grand public transformés en outils militaires

Le phénomène n’est pas nouveau. Depuis des années, les armées du monde entier s’inspirent de l’univers du gaming pour former les soldats ou concevoir des systèmes de pilotage. La manette devient une interface familière, surtout pour des jeunes recrues déjà habituées à l’univers vidéoludique.

Mais dans le cas russe, ce recyclage touche un autre niveau : celui de l’ingénierie de guerre low-cost. Des manettes ordinaires sont intégrées à des commandes de drones artisanales ou semi-professionnelles. Le résultat : une guerre à bas prix, mais potentiellement meurtrière.

Les biens à double usage, c’est-à-dire les produits qui peuvent servir aussi bien à un usage civil que militaire, sont surveillés de près. L’UE les inscrit sur une liste régulièrement mise à jour. Y figurent aussi des cartes graphiques, des imprimantes 3D, ou encore des capteurs et des batteries. La Russie, privée d’accès à certaines technologies, mise sur ces détournements pour compenser ses manques.

Une guerre hybride qui brouille les codes

Le conflit en Ukraine n’est pas uniquement une guerre de blindés et de missiles. C’est aussi une guerre numérique, technique, où chaque outil civil peut devenir un levier militaire. Des logiciels, des drones commerciaux, des satellites, et maintenant des manettes, participent à la fabrication d’une guerre nouvelle génération.

Ce brouillage entre technologies civiles et militaires rend les sanctions complexes à appliquer. Faut-il interdire tous les objets connectés ? Contrôler tous les exports ? Difficile, tant la frontière est mince entre le gadget et l’arme.

Les gamers au cœur d’un conflit mondial ?

Voir des accessoires de jeux vidéo intégrés à des dispositifs de guerre pose une question morale et politique. Ces manettes, utilisées par des millions de joueurs à travers le monde, se retrouvent au cœur d’un conflit géopolitique sanglant. L’industrie du jeu n’est pas responsable, mais elle devient malgré elle un acteur indirect des tensions internationales.

Cette réalité invite à repenser la manière dont on conçoit les objets technologiques. Le design simple, les matériaux abordables, la connectivité universelle… autant d’avantages qui, dans certains contextes, deviennent des failles exploitables.

Une réponse politique assumée

Pour le Royaume-Uni, cette interdiction est autant un geste symbolique qu’un levier stratégique.

Nous ne laisserons pas des objets conçus pour jouer devenir des armes pour tuer », a déclaré Stephen Doughty.

La mesure vise aussi à renforcer la pression diplomatique, à un moment où l’Ukraine subit de nouveaux assauts massifs par drones.

La Russie, elle, minimise l’impact de ces restrictions, mais cherche de nouveaux moyens de contourner les embargos. Le marché noir, les pays tiers, ou la production locale restent des alternatives que Moscou peut activer.

La situation montre que même les objets du quotidien peuvent devenir des pièces du puzzle militaire. Et qu’à l’heure où la technologie est partout, la guerre peut commencer au fond d’un salon, avec une manette sans fil.

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