Dans les fosses du Pacifique, une boue bleue révèle une vie extrême insoupçonnée

À plus de 6 000 mètres de profondeur, dans une zone du Pacifique quasiment inaccessible, des chercheurs ont mis au jour une boue bleue étrange capable d’abriter des formes de vie que l’on pensait impossibles. Une découverte qui interroge sur les limites de l’habitabilité sur Terre… et peut-être ailleurs.
boue bleue pacifique

Une découverte venue des profondeurs extrêmes

Les abysses du Pacifique restent l’un des territoires les moins explorés de la planète. La NOAA estime que 80 % des fonds marins sont encore inconnus. Pourtant, en 2022, une équipe internationale embarquée sur le navire de recherche Sonne a réussi à prélever des carottes de sédiments dans l’avant-arc des îles Mariannes, non loin des Philippines.

Le résultat dépasse la simple curiosité géologique : une boue d’un bleu intense, issue d’un volcan sous-marin. Sa couleur provient de minéraux comme la serpentinite, formés par des réactions chimiques entre les roches ultra-profondes et l’eau de mer.

Problème : cette boue est tellement alcaline que son pH atteint 12. Pour un humain ou un animal, ce serait une brûlure chimique instantanée. Pourtant… quelque chose y vit.

Des micro-organismes qui défient les limites de la vie

Dans cette boue « invivable », les chercheurs ont détecté des traces lipidiques et quelques cellules intactes. Ce sont des organismes extrêmophiles, capables de survivre dans des milieux aux températures extrêmes, à la pression immense et à la quasi-absence de nutriments.

Les plus connus ? Les tardigrades, parfois surnommés « oursons d’eau ». Mais ici, la situation va encore plus loin.

Ces microbes tirent leur énergie non pas de la lumière — inexistante à ces profondeurs — mais de réactions chimiques. Ils utilisent l’hydrogène et le CO₂ pour produire du méthane. Un mode de vie appelé chimiosynthèse, typique des environnements hydrothermaux.

« Ce qui est fascinant, c’est que la vie est possible avec un pH aussi élevé et un carbone organique aussi faible. Jusqu’ici, la présence d’organismes méthanogènes était supposée, jamais confirmée directement. »

— Florence Schubotz, géochimiste et co-autrice de l’étude

Pourquoi cette boue bleue est-elle si spéciale ?

L’étude a mis en évidence non seulement des communautés microbiennes actuelles, mais aussi des traces de micro-organismes anciens. Cela signifie que cet écosystème a pu persister pendant des milliers d’années dans des conditions extrêmes.

Un environnement hors norme

CaractéristiqueValeur observée
Profondeur6 000 m
pH de la boue12 (extrêmement alcalin)
Température et pressionTrès élevées, typiques des volcans de boue
Type de vie détectéeMicrobes extrêmophiles méthanogènes

La présence de lipides « frais » indique que certaines de ces cellules seraient encore actives aujourd’hui, malgré un environnement qui dissoudrait la plupart des organismes terrestres.

Ce que cette découverte change pour la science

Pour les chercheurs, cette boue bleue est une fenêtre vers le passé. Ses conditions ressemblent à celles de la Terre primitive, lorsque les premières formes de vie ont émergé il y a plus de 3,5 milliards d’années.

Comprendre comment ces microbes survivent dans un lieu aussi hostile pourrait aider à répondre à une question fondamentale : comment la vie apparaît-elle sur une planète ? Cela ouvre aussi des pistes pour l’astrobiologie, puisque des environnements basiques et minéralisés existent ailleurs dans le système solaire, comme sur Encelade ou Europe.

Un terrain d’étude encore largement inconnu

Pour aller plus loin, les chercheurs prévoient d’incuber les micro-organismes prélevés afin de comprendre leurs cycles biologiques. Leur objectif est de déterminer comment ils s’adaptent, se nourrissent et communiquent dans un milieu où pratiquement rien d’autre ne peut survivre.

« Ces habitats microbiens rares nous aident à comprendre comment la vie peut évoluer aux limites de l’habitabilité. »

— Palash Kumawat, premier auteur de l’étude

Une découverte qui nous rappelle notre insignifiance… et notre chance

Les micro-organismes comme ceux trouvés dans la boue bleue représentent environ 15 % de la biomasse mondiale. À titre de comparaison, l’humanité représente seulement 0,01 %. Autrement dit, cette vie minuscule mais résistante façonne la planète depuis des milliards d’années.

Cette boue bleue n’est donc pas qu’une curiosité : c’est un rappel que la vie existe et persiste là où on ne l’attend pas, dans des zones où aucune lumière ne passe, où la pression écrase tout et où l’eau est aussi corrosive qu’un produit ménager. Et pourtant, des microbes continuent d’y prospérer.

À mesure que les technologies avancent, d’autres mystères des abysses pourraient suivre. Pour la science, cette découverte n’est sans doute que la première pierre d’un puzzle gigantesque.

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