Une pollution invisible au fond des abysses
Dans l’Atlantique nord-est, à plus de 4 000 mètres de profondeur, dorment des milliers de fûts remplis de déchets nucléaires. Pendant presque 50 ans, les grandes puissances ont vu l’océan comme une solution simple pour se débarrasser de la radioactivité. Aujourd’hui, cette époque semble lointaine, mais les traces sont toujours là.
Une pratique longtemps tolérée
De 1946 à 1993, quatorze pays ont utilisé la mer comme décharge nucléaire. Les déchets, souvent à faible ou moyenne activité, étaient enfermés dans des barils étanches puis jetés dans les zones profondes. À cette époque, l’idée semblait logique : l’océan, vaste et stable, serait capable d’absorber la pollution. On sait maintenant que ce choix était risqué.
Une zone mal connue et difficile d’accès
Les scientifiques ne disposent que de cartes approximatives sur la localisation de ces dépôts. Aucun système de suivi précis n’avait été mis en place. De nombreux documents ont été égarés ou jamais rendus publics. Résultat : personne ne sait où sont précisément les barils, ni dans quel état ils se trouvent aujourd’hui.
Une expédition pour percer les secrets de l’abîme
Pour la première fois, une équipe française va mener une exploration d’envergure. Portée par le CNRS, l’Ifremer et la flotte océanographique nationale, cette mission partira le 16 juin depuis Brest. L’objectif : cartographier la zone, repérer les fûts, et prélever des échantillons autour de ces déchets.
Un robot sous-marin au cœur de la mission
Le robot autonome UlyX est le cerveau et les yeux de l’expédition. Capable de descendre jusqu’à 6 000 mètres, il utilisera des sonars, caméras haute définition et capteurs pour explorer les fonds marins. Il collectera aussi de l’eau, des sédiments et des organismes pour analyser la présence éventuelle de radioactivité.
Une technologie au service de la précision
Grâce à ses outils, UlyX pourra créer une cartographie très fine des zones contaminées. Contrairement aux campagnes passées, cette mission ne travaille plus à l’aveugle. Les chercheurs veulent enfin localiser les barils, évaluer leur état, et identifier les zones à risque potentiel.
Des barils vieillissants et des éléments instables
Les fûts immergés étaient conçus pour durer entre 20 et 25 ans. Ce délai est aujourd’hui largement dépassé. Certains barils sont probablement corrodés ou fissurés. Même si les déchets sont peu radioactifs, certains radionucléides comme le strontium 90 peuvent poser problème en s’intégrant dans la chaîne alimentaire.
Un impact encore mal compris
Les chercheurs veulent savoir comment ces substances circulent dans l’eau ou dans les sédiments. Certains éléments peuvent être piégés au fond, d’autres peuvent être absorbé par des poissons ou des invertébrés. Ce travail de terrain est essentiel pour évaluer les conséquences à long terme de cette pollution invisible.
Une démarche transparente et scientifique
Les données recueillies pendant cette mission seront partagées publiquement. Il ne s’agit pas d’accuser ou de juger le passé, mais de comprendre les erreurs et leurs impacts. Une seconde expédition est déjà prévue pour affiner les premiers résultats et mieux évaluer l’état global de cette décharge sous-marine.
Un héritage du siècle nucléaire
Cette mission soulève une question essentielle : que faire des déchets nucléaires à long terme ? Si aujourd’hui l’immersion est interdite, l’héritage reste. Et il oblige à repenser la gestion des déchets, en mer comme sur terre. La science avance, mais les abysses, eux, n’ont rien oublié.