Une protestation face à une loi jugée intrusive
Le groupe canadien Aylo, à la tête des principaux sites pour adultes comme Pornhub, RedTube et YouPorn, a fait le choix de bloquer l’accès à ses plateformes en France. L’objectif ? Contester la mise en œuvre d’un dispositif légal obligeant les sites pornographiques à contrôler l’âge des internautes de manière plus stricte.
Depuis juillet 2020, la France impose aux éditeurs de contenus pour adultes de garantir que les utilisateurs soient bien majeurs. Fini le simple clic sur « J’ai plus de 18 ans ». Le nouveau modèle repose sur un système de double anonymat : un tiers vérifie l’âge à partir d’un justificatif, sans savoir quel site l’internaute consulte ensuite.
Des pages d’accueil transformées en messages politiques
Dès leur arrivée sur ces sites, les utilisateurs français ne verront plus de vidéos explicites, mais un message clair accusant la législation française de menacer la vie privée et d’être inefficace. Le slogan « La liberté n’a pas de bouton off » s’affiche désormais sur la page d’accueil, aux côtés de Marianne, figure de la République.
Des impacts économiques et techniques majeurs
Ce choix n’est pas anodin pour Aylo. La France est le deuxième marché mondial de Pornhub, avec près de 7 millions de visiteurs par jour. Le retrait de ces plateformes entraîne donc une chute brutale du trafic et des pertes financières considérables, surtout pour un modèle économique basé sur la publicité et l’accès gratuit.
Un casse-tête technologique pour l’industrie
Aylo affirme qu’il est techniquement impossible d’imposer une vérification fiable tout en respectant la confidentialité des utilisateurs. Le groupe plaide plutôt pour une solution intégrée aux appareils des utilisateurs : smartphones, ordinateurs ou box internet. Il rejette l’idée que ce soit aux sites eux-mêmes de collecter des données sensibles, jugeant cela dangereux en cas de piratage.
Un précédent aux États-Unis
Ce n’est pas la première fois que le groupe coupe l’accès à ses plateformes. Déjà, dans plusieurs États américains ayant voté des lois similaires, Aylo avait fermé l’accès à ses sites, estimant que les conditions d’application n’étaient pas réunies pour protéger les utilisateurs.
Une tension croissante avec le gouvernement français
Du côté de l’État, le ton est ferme. Clara Chappaz, ministre chargée du numérique, insiste sur le fait que « la loi doit être respectée » et qu’il ne s’agit pas de stigmatiser les adultes, mais bien de protéger les mineurs. Elle soutient que le dispositif proposé par l’Arcom permet un bon équilibre entre vie privée et sécurité.
Aurore Bergé, ministre de l’Égalité, se montre encore plus directe :
S’ils refusent de se plier à la loi, alors qu’ils partent. Il y aura moins de contenus toxiques accessibles aux jeunes.
Aylo veut aussi faire passer un message plus large : selon eux, cette législation est un signal d’alerte pour d’autres pays. En transformant leurs sites en outils de sensibilisation, ils espèrent créer un débat public sur la manière de concilier protection des mineurs et respect des libertés numériques.
Sarah Bain, du fonds Ethical Capital Partners qui détient Aylo, déclare :
Nous ne sommes pas contre la régulation, mais il faut qu’elle soit juste et techniquement fiable.
L’Europe entre dans la bataille
À Bruxelles aussi, le sujet prend de l’ampleur. La Commission européenne a ouvert des enquêtes contre plusieurs plateformes pornographiques, dont Pornhub, XNXX, Stripchat et XVideos, pour non-respect du Digital Services Act (DSA). L’Europe reproche à ces sites de ne pas avoir pris assez de mesures pour empêcher l’accès des mineurs à leurs contenus.
En parallèle, une application européenne de contrôle de l’âge est en cours de développement. Ce dispositif, basé sur le portefeuille numérique européen, pourrait offrir une solution plus neutre et sécurisée, en garantissant à la fois la confidentialité et l’efficacité du filtrage.
Une industrie en pleine transformation
Ce bras de fer entre Aylo et l’État français illustre une mutation plus large : l’industrie du porno, longtemps livrée à elle-même, entre aujourd’hui dans une ère de régulation plus stricte. Entre pressions politiques, innovations technologiques et bouleversements économiques, c’est toute une partie du web qui est en train de se redéfinir.