Une promesse d’ascenseur social qui se grippe
Pendant plusieurs années, l’État a massivement soutenu l’apprentissage. Résultat : le nombre d’apprentis est passé de quelques centaines de milliers à plus d’un million, avec une ouverture massive vers l’enseignement supérieur et les services. Beaucoup de jeunes ont choisi leur école ou leur master précisément parce qu’ils comptaient sur un contrat d’alternance pour financer leurs études.
En 2025, le modèle vacille. Les aides à l’embauche ont été revues à la baisse : une entreprise de moins de 250 salariés touche désormais 5000 euros (contre 6000 auparavant), et les grandes structures seulement 2000 euros. Pour les PME, qui comptent chaque euro, la différence est énorme. Beaucoup ont décidé de réduire, voire de geler, leurs recrutements d’alternants.
Parallèlement, certains apprentis doivent désormais payer des cotisations sociales qui réduisent leur salaire net. Pour eux, la douche est froide : la promesse « études financées + salaire confortable » n’est plus automatique.
Quand chercher une alternance devient un deuxième temps plein
Pour une partie des étudiants, trouver une alternance en 2025 ressemble à un marathon sans garantie de ligne d’arrivée. Mohamed, en troisième année d’informatique, raconte avoir cherché pendant deux ans avant de décrocher un contrat. Entre-temps, il a dû payer ses frais de scolarité et prendre un prêt bancaire pour ne pas abandonner son école.
Son quotidien ? Des dizaines de candidatures envoyées chaque jour, des réponses automatiques, quelques entretiens… et la même phrase qui revient : « manque d’expérience ». Le stress finit par déborder : perte de poids, anxiété, TOC. L’alternance en crise, ce sont aussi ces effets invisibles sur la santé mentale.
Charlotte, 22 ans, en master design, a mis plus de six mois à signer un contrat. Sans alternance, elle aurait dû arrêter une formation à 5000 euros l’année. Elle dit avoir envoyé plus de 600 mails, relancé partout, élargi son secteur… avant de finalement intégrer une petite structure artisanale, loin du « design haut de gamme » qu’elle visait au départ.
« C’est grave parce que ça va les mettre en grande difficulté pour la suite de leur parcours professionnel », alerte Baptiste Martin, président de l’Association nationale des apprentis de France.
Une chute brutale des offres d’alternance
Des chiffres qui confirment le ressenti sur le terrain
Les témoignages ne sont pas isolés. Plusieurs baromètres de l’emploi montrent que l’alternance recule fortement en 2025 :
- une baisse d’environ 19 % des offres d’alternance sur un trimestre sur certaines plateformes emploi ;
- entre mars et juillet 2025, une chute d’environ 22 % du volume global d’offres d’alternance publiées, avec des PME qui s’effondrent (jusqu’à -85 % d’offres sur une grande plateforme de recrutement dédiée aux jeunes) ;
- un nombre de candidatures par offre en forte hausse, signe d’un marché complètement déséquilibré.
Dans le même temps, la demande côté candidats reste stable, voire en légère hausse. Les entreprises proposent donc moins de postes, mais les jeunes sont toujours aussi nombreux à postuler. Résultat : la concurrence entre étudiants explose.
Quelques repères chiffrés
| Indicateur | Évolution 2025 | Impact pour les jeunes |
|---|---|---|
| Aides à l’embauche d’un apprenti | Passage de 6000 € à 5000 € (PME) et 2000 € (grandes entreprises) | Moins d’incitation à recruter, surtout dans les PME |
| Offres d’alternance (mars–juillet) | Environ -22 % sur un an | Plus difficile de signer un contrat dans les délais |
| Offres d’alternance publiées par les PME | Jusqu’à -85 % sur certaines plateformes | Fort recul dans les petites structures, pourtant formatrices |
| Nombre de candidatures par offre | +18 % environ | Concurrence accrue entre étudiants sur chaque poste |
| Postes d’alternants détruits (projection sur quelques mois) | Environ 60 000 à 65 000 contrats en moins | Des milliers de parcours d’études menacés |
Des formations menacées, des projets d’études bloqués
La spécificité de l’alternance, c’est que le contrat n’est pas qu’un job : il conditionne souvent la poursuite des études. Dans de nombreux cursus, sans entreprise d’accueil, l’étudiant ne peut tout simplement pas valider son année.
Problème : certaines écoles n’offrent pas la possibilité de revenir en formation initiale en cas d’échec dans la recherche. Pour les jeunes concernés, c’est brutal : soit ils abandonnent leur diplôme, soit ils paient de leur poche des frais de scolarité qu’ils ne pensaient pas devoir assumer.
Ce contexte crée un sentiment d’injustice très fort. Beaucoup ont entendu pendant des années que « l’alternance est la solution » pour éviter le chômage, financer ses études et gagner en expérience. Se retrouver sans contrat après des centaines de candidatures donne l’impression que les règles du jeu ont changé en cours de route.
Pourquoi les entreprises freinent sur l’alternance
Un cocktail économique difficile
Du côté des entreprises, plusieurs facteurs se cumulent :
- baisse des aides : recruter un alternant coûte plus cher qu’avant ;
- conjoncture incertaine : certaines structures, notamment les PME, ont peur de s’engager sur un ou deux ans ;
- hausse des charges pour certains profils, qui réduit l’intérêt perçu du dispositif ;
- priorité donnée à d’autres types de contrats (CDD courts, missions ponctuelles, intérim).
Pour un dirigeant de petite entreprise, l’alternance reste un investissement en temps et en argent : former un jeune, le suivre, lui confier progressivement des responsabilités… Quand la visibilité économique se réduit, la tentation est forte de reculer.
Des effets très différents selon les secteurs et les territoires
La crise de l’alternance ne touche pas tout le monde de la même façon. Certaines régions limitent la casse, d’autres s’enfoncent. De même, des secteurs comme la santé, le social ou les services à la personne continuent à recruter, alors que l’industrie, la R&D ou certains métiers techniques réduisent fortement la voilure.
Pour les jeunes, cela veut dire deux choses :
- il peut être stratégique d’élargir sa zone géographique, quand c’est possible ;
- regarder aussi les secteurs qui résistent ou recrutent encore en alternance (santé, social, services, commerce, conseils, etc.).
Une génération qui sert de variable d’ajustement
Sur le terrain, beaucoup d’apprentis ont l’impression de servir de variable d’ajustement budgétaire. Aurélien, 23 ans, en troisième année d’apprentissage en cuisine dans un palace parisien, a découvert sur sa première fiche de paie de la rentrée un net en baisse d’environ 200 euros par rapport à ce qu’il attendait, du fait des nouvelles cotisations.
« Après les hôpitaux, après les profs, allons taper les apprentis, c’est vrai que c’est là qu’on va se faire beaucoup d’argent », ironise-t-il.
Entre la baisse des aides aux entreprises et la baisse de rémunération nette pour certains alternants, le message envoyé à une partie de la jeunesse est difficile à encaisser, surtout dans un contexte où le coût de la vie augmente.
















